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Une histoire d’Okonomiyaki

L’Okonomiyaki, ça commence à être connu, oui, mais sans être « bien » connu. On lit beaucoup d’approximations sur le sujet. Autour de ce plat, en apparence simple, gravite un univers complexe tant les variantes sont nombreuses et que, finalement, peu semblent avoir pris le temps de vous expliquer les choses de manière complète. Mais ne vous inquiétez pas, car grâce à Horizons du Japon vous allez devenir de véritables bêtes sur le sujet ! Accrochez-vous, car voici un gros dossier de présentation de l’Okonomiyaki, probablement LA référence francophone sur le sujet ! (soyons fous ^^)

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TOUT D’ABORD

Quand on pense à la cuisine japonaise, on ne pense pas de suite aux Okonomiyaki. On a plus de facilité à envisager la gastronomie raffinée du pays. Mais l’Okonomiyaki est le fer de lance d’un autre aspect de la cuisine sur place, où il n’y a absolument rien de sophistiqué ou de délicat. Tout d’abord, il faut savoir que ce plat est un Konamono 粉物」(ou Konamon comme on le dit en patois d’Osaka), un aliment à base de farine qui se trouve dans la catégorie B-kyu GourmetB級グルメ」. Cette catégorie officieuse inclut tous les plats peu chers, populaires, généreux, pas franchement raffinés, mais nourrissants. On peut traduire ça comme les plats de 2e grade, de 2e niveau, bref, appelez ça comme vous le voudrez.

Personnellement l’Okonomiyaki quel qu’il soit n’est pas le plat qui me transporte vers les jardins d’Éden, même si j’aime bien en manger et qu’il m’en faut un de temps en temps. Pour être honnête, lors de ma première fois, j’avais même très moyennement accroché face au côté galette compacte du truc recouvert de sauce dégoulinante. Aujourd’hui je sais pourquoi : je n’avais pas compris tout à fait l’état d’esprit du plat.

Pour apprécier un met, parfois il ne suffit de le trouver bon gustativement parlant, il faut aussi adopter la bonne mentalité, connaître le mode de consommation, le backround et se mettre dans l’humeur adéquate. Manger un Okonomiyaki c’est se plonger dans la culture populaire. Manger un Okonomiyaki c’est faire un bond dans le temps. Manger un Okonomiyaki c’est rendre hommage aux Japonais d’après-guerre qui ont connu la galère.

On parle donc ici d’un plat qui se consomme dans des restaurants décontractés et à la bonne franquette. Ce sont souvent des espaces d’échanges sociaux qui décomplexent facilement les gens. Parfait pour un dîner en compagnie d’une personne avec qui on n’est pas encore à l’aise. L’Okonomiyaki va vous faire fondre la première glace en rien de temps. Rien de classieux ici, on est dans le lourd, le généreux, le dégoulinant et le savoureux. Il y a du sel, du sucre, du gras, des légumes, de la viande ou des fruits de mer, des oeufs, parfois des nouilles, du gluten, de la sauce, de la générosité, des calories à foison, tout un petit monde en soi ; de la vie quoi !

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Sur Osaka on ne se pose pas de question devant un Okonomiyaki. On attrape sa spatule de la main droite (car normalement ça ne se mange pas à la baguette, les tokyoïtes sont prévenus) et on lui fait sa fête, tandis que la main gauche tient une bonne bière (Asahi en bouteille de préférence, avec son petit verre). Les gens distingués qui cherchent l’élégance peuvent rester chez eux ; au mieux ils pourront admirer le beau geste d’un chef-artiste qui vous sculpte cette galette sous vos yeux, sinon c’est vous qui serez derrière les fourneaux individuels, accompagnés des effluves du plat. Car oui, on sent parfois le graillon quand on sort d’un de ces restaurants, surtout ceux à l’ancienne où c’est vous qui préparez la galette sur plaque au milieu de votre table. Vous commandez, et on vous apporte une gamelle avec des trucs crus dedans. À vous de jouer !

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L’OKONOMIYAKI C’EST QUOI ?

Pour la génération Club Dorothée, l’Okonomiyaki c’est avant tout ce truc bizarre qu’on voyait parfois dans les dessins animés de notre enfance. On aurait dit une crêpe, mais pas de Nutella à l’horizon. Où est le beurre, où est le sucre ?!

Ranma 1/2 & Lucile, amour et rock'n roll
Ranma 1/2 & Lucile, amour et rock’n roll

L’Okonomiyaki est composé de farine, d’eau, de beaucoup de chou râpé, d’oeuf, et de divers ingrédients (porc, boeuf, calamar, gingembre, kimchi, fromage, tout ce que vous voulez), le tout avec un peu de dashi (bouillon à base de poisson). On recouvre à sa convenance la galette cuite avec de la sauce, de la mayonnaise, des flocons de bonite séchés, des algues Aonori  (qui ont la fâcheuse habitude de jouer à cache-cache entre les dents), et même parfois de la moutarde forte (karashi) ; le tout pour un mélange détonant de sucré et de salé. Certains recouvrent même la galette de piment. Bienvenue à vous ! Vous êtes en face de l’Okonomiyaki tel qu’on le fait dans les restaurants (old school) à Osaka. De préférence si le menu en japonais est accroché avec des punaises sur du bois collant c’est encore mieux.

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Sur Hiroshima c’est plus complexe. Le standard est de faire d’abord une crêpe, puis ont y ajoute du dashi (bouillon poisson) et du chou par dessus (et parfois des pousses de soja) que l’on fait cuire lentement. Divers coup de passe-passe pendant la cuisson, on garnit de divers ingrédients comme on le fait sur Osaka, porc, calamar, etc. On fait cuire des nouilles, on pose la crêpe et sa mixture sur les nouilles et on recouvre le tout d’une fine omelette. Un coup de sauce, d’algues Aonori, parfois de la mayonnaise aussi, et voilà, vous êtes en face de l’Okonomiyaki d’Hiroshima. Et sur un comptoir en face d’un chef loquace fan des Carp d’Hiroshima, c’est encore mieux (d’ailleurs victoire pour eux cette année).

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Je précise qu’ici aussi ça se mange normalement avec la spatule. A priori il existe de très rares restaurants où l’on peut le faire soi-même, mais c’est peu habituel sur Hiroshima et ça finit souvent en massacre 😉

REMONTER LA PENDULE

Dans l’origine de chaque plat, il y a une part de romantisme. Il n’est jamais évident d’en comprendre les sources et il y a souvent un décalage entre ce que l’on sait et aime répéter aux autres et ce qui est clairement avéré. Par exemple, saviez-vous que Marco Polo n’a jamais rapporté de pâtes en Italie suite à son voyage en Asie ? (Voilà, j’ai fait mon devoir vis-à-vis de mes ancêtres italiens 🙂

Ici nous allons tenter de remonter le temps pour élucider les origines de l’Okonomiyaki. En japonais ce plat pourrait se traduire en quelque sorte comme « le cuit à sa façon ». Comprenez, chacun le prépare comme il l’entend en y mettant ce qu’il veut dedans.

Enquêter sur l’histoire de ce plat est donc compliqué tant chacun semble avoir tenu au pied de la lettre le précepte de son nom, y ajoutant du sien, façonnant, changeant, jusqu’à obtenir ce que l’on a aujourd’hui et ses nombreuses variantes qui forment un arc-en-ciel de saveurs prêtes à vous séduire.

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Pour obtenir des réponses claires sur les origines des plats, sonder les Japonais est souvent peu fructueux. Quand on demande à quelqu’un d’Osaka ce qu’il pense de l’origine de ce plat, on obtient souvent cette réponse :

« Pour moi l’Okonomiyaki c’est du « soul food », je n’ai jamais réfléchi à son origine. »

Le romantisme fait souvent commencer l’histoire de l’Okonomiyaki après la guerre, quand la nourriture venait à manquer et qu’il fallait un plat consistant pour remplacer le riz. De par ces conditions spécifiques, c’est un plat qui a une valeur affective très forte, quelle que soit la région, mais il faut savoir que son origine est en réalité plus vieille encore.

PRÉSENTATIONS 

On la présente parfois comme une omelette, mais ce n’est pas approprié puisque la matière principale qui compose une omelette ce sont les oeufs, ce qui n’est jamais le cas des Okonomiyaki, qui sont plus souvent proches de galettes, même si la description est parfois compliquée.

On la présente parfois comme une pizza, mais je trouve ça moyennement approprié, bien que le point commun « tu mets ce que tu veux dedans » est assez proche. La pizza c’est un plat qui dérive du pain et quand tu manges un Okonomiyaki, ok il y a de la farine dans les ingrédients, mais tu as beau chercher, du pain tu n’en trouvera pas.

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En gros, il y a deux zones géographiques connues pour l’Okonomiyaki : Le Kansai (avec Osaka en haut du podium) et Hiroshima.

Les versions du Kansai et d’Hiroshima sont deux plats différents. En général il n’y a pas de concurrence réelle, car la distinction est assez nette dans la tête des Japonais. C’est peut-être beaucoup moins le cas pour les touristes.

Comprenez bien qu’il arrive qu’un habitant d’Osaka mange un Okonomiyaki à la mode de Hiroshima sans que ça ne lui pose problème. Il ne va pas être désintégré sur place par les Dieux de Naniwa (ancien nom d’Osaka). C’est juste que ce n’est pas la version qu’il va manger chez sa maman, mais ça lui plaît quand même. Quand c’est bon pourquoi se priver ? D’ailleurs on voit régulièrement l’Okonomiyaki à la mode d’Hiroshima dans le menu de certains restaurants à Osaka. Pour le coup, l’inverse semble bien plus rare à Hiroshima, qui jouit pourtant de la plus forte concentration de restaurant d’Okonomiyaki par habitant de tout le Japon. Par contre, si une famille d’Hiroshima avec des gamins décide de faire une Okonomiyaki-Party à la maison (comme une crêpe-party quoi), dans ce cas c’est l’Okonomiyaki d’Osaka qui est serait préféré pour sa simplicité de préparation.

Après peut-être que chacun doit penser que ce sont ses Okonomiyaki qui sont à la base du plat, mais la réalité est peut-être tout autre. Il se pourrait bien que les ancêtres de ces galettes ne soient ni d’Hiroshima, ni d’Osaka. Au moins ça mettra tout le monde d’accord 🙂

Tout d’abord, il est important de savoir qu’il y a deux familles d’Okonomiyaki :

  •  Les Mazé-yaki 混ぜ焼き où globalement tous les ingrédients sont mélangés avant d’être cuits sur la plaque. Méthode principalement utilisée à Osaka
  •  Les Kasané-yaki 重ね焼き où la cuisson se fait par couches distinctes comme il se fait à Hiroshima

Oui, j’ai mis un accent sur le « E » afin d’être sûr que tout le monde prononce bien. Retenez bien ces mots, car vous allez les retrouver souvent tout au long de l’article. Mazé pour les mélangés, Kasané pour les empilés.

Le Kasané-yaki est bien plus complexe à faire que le Mazé-yaki. Au-delà des différences gustatives, il y a aussi un décalage de mode de consommation entre Osaka et Hiroshima.

À la base sur Osaka, l’Okonomiyaki c’est un truc hyper convivial et simple que l’on fait soi-même et que l’on mange aussi bien chez soi (ce point est important) qu’au restaurant, notamment sur des tables avec une plaque chaude (le fameux Teppan 鉄板) au centre. Sur Hiroshima, c’est un plat convivial, mais plus technique, consommé surtout au restaurant et préparé devant vous sur comptoir par un pro ou une Mama-san.

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AU COMMENCEMENT

Aussi loin que l’on puise remonter la pendule, le principe de « crêpe/galette » aurait été pensé par le maître de thé Sen no Rikyu à la fin du 16e siècle. Sen no Rikyu, né à Sakai (Osaka) est tout simplement un des maîtres du mouvement Wabi-Sabi et un des pères de la cérémonie du thé japonaise. Rien que ça ! Il aurait pensé à une pâtisserie nommée Fu no Yaki麩の焼き」une sorte de crêpe garnie cuite sur une plaque qui se serait transmise jusqu’à Edo (actuelle Tokyo). On ne sait pas vraiment de quoi était composée cette pâtisserie, mis à part qu’elle était sucrée pour se marier à merveille avec l’amertume du thé. Les Sukesô-yaki助惣焼」 et les plus célèbres Dora-yaki, originaire de Tokyo, seraient des évolutions du dit Fu no Yaki. Pour l’instant on reste dans le sucré, mais on a un début de pâte de farine cuite et accommodée de diverses façons.

Plus tard, en 1819, le Monja-yaki fait son apparition à Tokyo. Vous connaissez ? David en fait de très bons ! On le présente souvent comme un dérivé ou une évolution de l’Okonomiyaki, mais en réalité le Monja-yaki est plus ancien. Cette version très liquide aurait été assaisonnée de sauce soja au départ puis de sauce Worcester. Cette sauce anglaise serait arrivée au Japon à l’ère Meiji (1868-1912) et aurait tout de suite plu au palais des locaux. C’était nouveau, ça venait des pays qu’il fallait prendre en exemple, c’était super « hype » quoi ! La sauce et ses dérivés deviendront un point important pour l’avenir des Okonomiyaki ainsi que pour beaucoup d’autres plats. On va y revenir plus tard.

Tout ça c’est super, mais les Monja-yaki, trop liquides, n’étaient pas pratiques pour une vente à emporter. C’est pourquoi, dans les années 30, certains Yatai (restaurants ambulants) auraient alors pensé au Dondon-yaki どんどん焼」fait avec une pâte plus solide enroulée autour de baguettes et que l’on mange en la mordant comme une brochette. Idéal donc lors de festivals en plein air.

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L’APPARITION DES KASANÉ-YAKI

À l’ère Taisho (1912-1926), dans le Kansai (certains disent Kyoto, d’autres disent Osaka), serait apparu un des plus directs ancêtres de l’Okonomiyaki : le Yoshoku-yaki 「洋食焼き」 plus communément appelé Issenyoshoku一銭洋食」. Les 2 noms subsistent, mais le plat est presque identique. Le Yoshoku-yaki c’est un Kasané-yaki  très simple fait d’une crêpe de farine de blé, garni de choux, de viande, de divers légumes et d’un peu de sauce.  C’était un en-cas (おやつ) apprécié des enfants.

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Aperçu d’un Yoshoku-Yaki tel qu’on peut le trouver encore (rarement) sur Osaka aujourd’hui.

Sur Osaka, de nombreuses marques de sauces ont vu le jour. Le Yoshoku-yaki se développe bien et arrive dans d’autres régions du pays, notamment à Hiroshima. Je rappelle que le Yoshoku-Yaki est un Kasané-yaki comme les actuels Okonomiyaki de la ville de la paix.

De ces ancêtres d’Okonomiyaki il reste aujourd’hui quelques traces comme le Kabétsu-yaki 「キャベツ焼き」à Osaka ou le Kashimin-yakiかしみん焼き」 de Kishiwada. Mais le plus important de ces ancêtres est le Négi-yaki 「ねぎ焼き」dont le restaurant Yamamoto du Juso (Osaka) est considéré comme le précurseur. Le Négi-yaki est une des grosses variantes d’okonomiyaki que l’on retrouve partout dans Osaka aujourd’hui.

Vendeur de Kabétsu-Yaki sur le trottoir à Osaka
Vendeur de Kabétsu-Yaki sur le trottoir à Osaka

UN MOT SUR LA SAUCE

Depuis l’ère Meiji, les plats à base de farine de blé et de sauces Worcester étaient considérés comme des plats hauts en couleur, modernes, élégants même (ハイカラ)  et d’influence étrangère, d’où le nom Yoshoku-yaki, « Yoshoku » voulant simplement dire cuisine occidentale. Le Yoshoku (洋食), en gros, c’est de la Western Food à la sauce japonaise, et c’est le cas de le dire tant il suffisait de balancer cette sauce sur n’importe quoi pour que ça devienne du Yoshoku dans la tête des gens. Pour en savoir plus sur le Yoshoku, vous pouvez consulter cette page du projet Osaka-en-bouche auquel j’ai participé.

Tout ça pour dire qu’il ne faut donc pas négliger l’influence de la cuisine occidentale dans le développement des Okonomiyaki modernes. Ces derniers, bien que faisant partie des spécialités du pays, restent des plats liés au Yoshoku. On est donc, pour moi, hors du pur Washoku 和食, le nom officiel de la cuisine japonaise. C’est vrai quoi, regardez ! Une galette de pâte à base de farine, de la sauce dérivée du Worcester, de la mayonnaise, etc.

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Pour information, le Tonkatsu, l’Omurice ou encore, le curry japonais, sont de bons exemples de cuisine Yoshoku.

J’en profite pour indiquer que les Gyoza et Ramen, pour ne citer qu’eux, sont des plats originaires de la cuisine Chûka (中華), entendez par là, cuisine chinoise.

Beaucoup d’Occidentaux m’ont dit « J’adore la cuisine japonaise » ! Et quand je leur demande de nommer les plats qu’ils aiment, certains me répondent : « L’ Okonomiyaki, le Tonkatsu, les Ramen et les Gyoza ». C’est bien. Sauf qu’aucun de ces plats n’est véritablement représentatif de la cuisine japonaise de base. Je conçois que c’est un thème délicat tant la gastronomie, comme les langues, est vouée à ne jamais rester figée. Tout est fait d’apports, d’influences, d’adoption et d’évolutions, mais il est important de comprendre le côté exotique que revêtent les plats en sauce pour les Japonais de l’époque.

D’ailleurs, notez qu’un des noms donnés à la farine de blé à cette époque était Meriken-ko「メリケン粉」. Meriken, c’est tout simplement la prononciation de « American » par les Japonais de l’ère Meiji. Par extension, au 19e siècle, tout ce qui venait de l’autre côté de la mer pouvait porter le nom de Meriken.

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La région du Kansai avec Kobe et Osaka a été particulièrement inventive avec les dérivés des sauces Worcester. La sauce Tonkatsu, inventée en 1948, et autres plus ou moins épaisses comme la Nôko Sauce 「濃厚ソース」voient le jour après la Seconde Guerre mondiale. Sur Hiroshima on a probablement la plus célèbre marque avec le mastodonte Otafuku qui possède une énorme part du marché national. C’est la sauce standard là-bas. Dans le Kansai, il y a un monopole moins important où il existe de nombreuses marques comme Oliver, Ikari ou encore Hermes Sauce (non non, pas la marque française). Avec toutes ces marques, beaucoup de restaurants préparent leur mélange original afin d’obtenir un goût unique pour se démarquer des autres. Dans le même genre, certains restaurants confectionnent une mayonnaise maison également.

ET LES MAZÉ-YAKI ALORS ?

Certains estiment que le gros courant du Mazé-yaki date du début de l’ère Showa (1926 – 1989) à Tokyo et aurait été transmis à Osaka par la suite. Oui, vous avez bien lu ! TOKYO. Non seulement une bonne partie des plus anciennes sources du plat (Monja-yaki et Dondon-yaki) en sont originaire, mais aussi le tout premier Mazé-yaki connu. On ne sait pas exactement à quoi il ressemblait néanmoins.

LA QUESTION EST DE SAVOIR QUAND EST-CE QU’ON A UTILISÉ LE MOT OKONOMIYAKI POUR LA PREMIÈRE FOIS.

La plus vieille mention écrite d’un Okonomiyaki remonte au livre « Watashi no shokumotsu-shi » publié en 1931/1932. L’auteur, Ikeda Yasaburo, explique que dans un quartier de plaisir de Tokyo, fréquenté normalement par des clients plus ou moins fortunés et des Geishas, un établissement aurait installé des plaques dans une pièce en tatami invitant les clients à cuire eux-mêmes une galette selon leurs goûts, d’où le mot Okonomiyaki. Quand il s’agit de cuire soi-même son Okonomiyaki, le Mazé-yaki s’impose par sa simplicité.

SI ÇA A COMMENCÉ À TOKYO, POURQUOI ÇA NE S’EST PAS DÉVELOPPÉ DANS CETTE VILLE ?

Bonne question. Sur Tokyo, le plat ne se serait pas propagé parce que le restaurant en question ne proposait pas que des galettes à manger, si vous voyez ce que je veux dire 🙂 A priori il y avait d’autres douceurs au menu. L’établissement était dans un quartier louche et ses activités étaient directement liées à des business pas clairs, notamment la prostitution. Le restaurant était un endroit tenu secret et officiait aussi discrètement comme maison close. Pour faire simple, l’Okonomiyaki là-bas, c’était un plat hyper underground ^^

Ceci explique pourquoi le plat serait resté marginal malgré l’ouverture de restaurant Sometaro en 1938 à Asakusa. Pour information, il existe encore. C’est le plus vieux restaurant d’Okonomiyaki du Japon encore en activité. Le chef ne le dira pas, mais sa recette a dû sacrément évoluer au fil des ans pour s’adapter aux évolutions et aux apports si nombreux des restaurateurs d’Osaka et d’Hiroshima.

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Malgré la mauvaise connotation du plat, cette manière ludique de manger se serait tout de même transmise à Osaka en 1937 avec l’ouverture à Kitashinchi (quartier de plaisirs et de bonne bouffe) du restaurant Itoya (fermé depuis) qui lui ne proposait qu’à manger. L’Okonomiyaki est arrivé lavé de son image louche pendant le voyage jusque dans le Kansai, et c’est propagé pendant et après la guerre. C’est bon, on le fait soi-même, à sa façon, comme l’aime tant les habitants d’Osaka, ville où on s’affirme souvent bien plus qu’à Tokyo. De plus, il était peu cher à faire, dans l’air du temps, et remplissait bien l’estomac. Un plat parfait pour ces périodes difficiles d’après-guerre. La popularité du plat est donc très liée aux circonstances de l’après-guerre. On verra que c’est encore plus vrai sur Hiroshima où sans la guerre, peut-être que l’Okonomiyaki actuel n’aurait jamais vu le jour là-bas.

Ce n’est pourtant qu’à partir de 1970 que l’Okonomiyaki a été reconnu dans tout le Japon comme un plat typique d’Osaka. Grâce notamment à des chaînes emblématiques comme BotejyuChibo ou Yukari, créateurs de nouveaux styles, avec de la mayonnaise (dès 1953 chez Botejyu)) en plus de la sauce et de l’igname râpé pour alléger la pâte.

1970 correspond aussi à l’année de l’Expo universelle d’Osaka, la première de l’histoire en Asie. L’afflux de visiteurs et de touristes a eu un impact considérable dans le rapprochement entre Osaka et Okonomiyaki.

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L’arrière de la fameuse Tour du soleil, de l’artiste Taro Okamoto, construite pour l’Expo Universelle de 70

Jusqu’alors c’était ce plat que l’on cuisait soi-même, mais petit à petit dans la ville, on voit apparaître des restaurants où on laisse un chef vous le préparer. Les techniques de professionnel devant les yeux apportent une valeur ajoutée qui font du plat quelque chose de plus respecté qu’une simple galette que l’on cuit un peu à l’arrache de manière ludique. C’est très étonnant de voir les différences d’ambiance qu’il peut y avoir entre les restaurants d’après-guerre qui n’ont que peu évolué, et ceux qui tendent à se moderniser et à devenir plus classes.

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Dans ce genre de vieilles gargotes que j’adore, il n’y a que des habitués, que ce soit les clients ou Hector, le cafard qui se balade parfois en été. 

Aujourd’hui, beaucoup de restaurants proposent néanmoins les deux manières de faire : par le chef ou une Mama-san, ou soi-même. Le faire soi-même reste très ancré néanmoins. C’est propre au style d’Osaka et c’est, je le rappelle, une des grosses différences avec l’Okonomiyaki de sa cousine.

ET POUR HIROSHIMA ALORS ?

Sur Hiroshima, on a une base identique à celle d’Osaka avec le Yoshoku-yaki. C’est ensuite que les choses se séparent clairement.

On pense que les habitants ont arrangé un Yoshoku-yaki que les enfants avaient l’habitude de manger dans des Dagashiya駄菓子屋」, des sortes de magasins de bonbons, en remplaçant le poireau par du chou (plus facile à obtenir toute l’année), en ajoutant les pousses de soja ainsi que divers ingrédients. Ils ont adapté cet en-cas afin de compenser le manque de nourriture qu’il pouvait y avoir après la guerre. Il fallait un plat nourrissant, une alternative au bol de riz. La présence américaine aurait permis aux habitants d’obtenir facilement beaucoup de farine de blé, la fameuse Meriken-ko. C’est ainsi que serait né l’Okonomiyaki d’Hiroshima après la Seconde Guerre mondiale.

Là-bas, il semblerait que le plat était souvent préparé par des veuves de guerre qui, pour gagner leur vie, ont aménagé leur cuisine pour faire de la petite restauration. Pas trop d’influence de l’Okonomiyaki apparu à Tokyo donc. Ça explique pourquoi il n’y a pas de Mazé-yaki sur Hiroshima.

C’est aux alentours de 1955 que les nouilles se seraient ajoutées au plat, transformant la préparation de manière plus concrète vers la forme que l’on connaît actuellement dans la ville.

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Si aujourd’hui un Okonomiyaki avec du porc et de l’oeuf est un standard, avant les années 60, il était parfois rare d’en trouver. Beaucoup n’étaient alors garnis qu’avec du chou et des nouilles (parfois même sans nouilles).

Quand un client voulait un Okonomiyaki à emporter, il venait avec une assiette et on y déposait sa galette encore chaude dessus emballée avec du journal pour qu’elle ne refroidisse pas. On parle ici d’un Japon qui nous semble très loin, mais ô combien charmant ! J’adore m’imaginer à quoi pouvait ressembler un Hiroshima d’après guerre comme ça.

Justement, après la guerre, les employés de la marque Otafuku, aujourd’hui célèbre entreprise locale, allait acheter les épices nécessaires à Osaka, qui était, je le rappelle, le garde-manger du Japon (天下の台所), là où on trouvait toute la bouffe du pays et même plus, pour fabriquer une Worcester Sauce, commercialisée à partir de 1950.

Sur Hiroshima, comme partout ailleurs, au départ on utilisait cette sauce Worcester liquide pour assaisonner l’Okonomiyaki, avant que les locaux n’imaginent une sauce parfaitement adaptée au plat, plus épaisse, telle qu’on la connaît aujourd’hui. Le simple ajout d’amidon de pomme de terre  a permis d’obtenir une texture idéale qui se répand moins et accroche plus à l’Okonomiyaki, à la manière de la Nôkô Sauce utilisée dans le Kansai. Cette sauce d’Otafuku sera la première à être nommée sauce Okonomiyaki, nom repris ensuite dans tout le pays.

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C’est à partir des années 80 que l’Okonomiyaki du style d’Hiroshima (広島風のお好み焼き) s’est développé dans tout le Japon, soit 10 ans plus tard que pour la version d’Osaka. Le mot Okonomiyaki étant déjà attribué pour la galette d’Osaka, c’est alors qu’est apparue une expression pour les différencier :

  • 広島風お好み焼き ou  広島焼き (Hiroshima-fû Okonomiyaki ou Hiroshima-yaki) Okonomiyaki à la mode d’Hiroshima

Il faut savoir que les habitants d’Hiroshima n’appelleront jamais leur galette Hiroshima-yaki, et ils ont bien raison ! Malgré tout, l’usage de l’expression Hiroshima-yaki reste très forte dans tout le pays pour qui le mot Okonomiyaki fait de base plutôt penser à la version d’Osaka. Hiroshima-Yaki permet donc de distinguer facilement les deux variantes. Il y a même une page Wikipédia sur la dénomination. Mais normalement, le mot à employer pour les galettes d’Osaka et Hiroshima est toujours le même : OKONOMIYAKI. Il faut simplement préciser de la version de quelle ville vous faites mention. (J’entends déjà les fainéants râler au fond).

LES VARIANTES

La famille des Okonomiyaki est grande, très grande.

Sur Osaka, en attendant que votre galette cuise, on mange souvent des Yaki-soba (des nouilles sautées). C’est un classique !

Il existe d’ailleurs de nombreux genres d’Okonomiyaki différents sur les menus d’Osaka. De quoi s’emmêler les pinceaux :

  • Les Okonomiyaki standards : la Mazé-yaki avec divers ingrédients
  • Le Négi-yaki 「ねぎ焼き」 : on enlève le chou et on le remplace par du poireau. Souvent servi avec de la sauce soja ou du Ponzu à la place de la sauce classique
  • Le Modern-Yaki 「モダーン焼き」: Mazé-yaki standard garni en plus de nouilles. Oui c’est costaud !
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Les entrailles d’un Modern-Yaki bien costaud rien que pour vous

Sans parler des autres dérivés moins directs comme :

  • Le Tonpei-yaki 「とん平焼き」: une sorte d’omelette avec du porc et la fameuse sauce. Très répandu dans le Kansai, mais qui existe aussi sur Hiroshima, sous une forme légèrement différente.
  • Le Tchobo-yaki 「ちょぼ焼き : une crêpe épaisse.
  • Le Kabétsu-yaki 「キャベツ焼き」: un des ancêtres de l’okonomiyaki que l’on trouve encore à Osaka pour seulement 140¥ à emporter.

Mais cette grande famille est loin de se réduire qu’aux villes d’Hiroshima et Osaka.

Vous avez par exemple :

  • Le Monja-yakiもんじゃ焼き」 à Tokyo, dont je parle plus haut
  • Le Shigure-yakiしぐれ焼」à Fujinomiya
  • Le Nikuten肉天」à Kobe
  • L’Onomichi-yaki 「尾道焼き」à Onomichi
  • Le Kure-yaki (呉焼き) à Kure
  • Le Dago 「ダゴ」sur l’île de Kyushu
  • Le Hirayachiヒラヤーチー」 à Okinawa
  • Le DàBǎnShāo (大阪燒) à Taiwan, directement inspiré de l’Okonomiyaki d’Osaka

SONDAGE

J’ai effectué un petit sondage (qui n’a aucune valeur statistique réelle) sur Twitter récemment :

C’est une surprise pour moi. La version d’Osaka remporte les suffrages haut la main, ce que je n’aurais pas imaginé.

J’ai pourtant plutôt l’impression que l’Okonomiyaki d’Hiroshima est plus médiatisé auprès des Occidentaux. Je trouve même que la cuisine d’Hiroshima est souvent réduite qu’à ça dans les articles et photo, ce qui est vraiment dommage ! Bon, sur Osaka aussi c’est un peu le même souci, on réduit ses spécialités aux seuls Takoyaki et Okonomiyaki. C’est tellement réducteur !

Concernant le sondage, je me demande si finalement le problème ne vient pas du nom. Peut-être que pour beaucoup c’est spécifiquement le mot Hiroshima-Yaki qui évoque pour eux l’Okonomiyaki d’Hiroshima.

CONCLUSION

L’Okonomiyaki étant un plat que l’on cuisine soi-même ou que le chef prépare devant vous, il a été très facile de le copier. Les nouveaux restaurants ouvrant les uns après les autres, s’imitant et s’influençant pour obtenir la richesse que l’on a aujourd’hui. Remonter le temps à ses trousses nous pousse probablement à supposer d’éventuelles connexions. En cuisine, il y a toujours des inspirations quelque part. Les traces les plus anciennes remontent peut-être à Tokyo, mais ça ne fait pas de l’Okonomiyaki une spécialité de la capitale.

De toute façon, les origines peu importe. Il n’y a que le plaisir de manger qui est important. Finalement, les Okonomiyaki, bien que différents, font partie d’une même famille. Alors, tous à vos spatules et bon appétit ! (^_^)/

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REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier Yann, mon ami et collègue qui assure les Hiroshima Safari, pour avoir répondu à mes questions et pour m’avoir permis d’illustrer cet article avec quelques une de ses photos. J’ai parlé de lui récemment. Vous pouvez voir ça ici.

Merci également à Judith du blog Jud à Hiroshima que je conseille vivement de suivre. Elle fait vraiment du bon boulot et montre un Japon du quotidien comme je l’aime. On a pu discuter pas mal de temps sur l’Okonomiyaki et elle a même sondé un peu son entourage afin de m’éclaircir sur divers points. Mes connaissances sur l’Okonomiyaki d’Hiroshima étant moins riche que pour celui d’Osaka.

Je vous remercie d’avance de partager cet article et de le commenter. J’y ai passé de longues heures et vos réactions m’intéressent. Si ça vous a plu, merci de me le faire savoir. Ça me donnera peut-être des idées pour la suite. Car oui, je vous le rappelle, j’ai toujours des idées en tête ^^

Sources :
– http://ja.wikipedia.org/wiki/お好み焼き
– http://www.otafuku.co.jp/laboratory/culture/history/his01.html
「食のルーツ」なるほど面白事典, publié par PHP研究所 – 大阪の教科書 Version 2015, publié par 創元社/増補改訂

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L’air du temps … celui qui ne fait que passer

Par Posted on 4 min lecture

C’est une balade en mars 2012. Un an après la grande catastrophe du nord-est du Japon. Je marche seul, mais je suis accompagné de la ville d’Osaka et de mon vieux Pentax. Je me laisse porter par les ruelles japonaises et découvre une maison isolée, recouverte de taule. Un de ces taudis charmants que l’on voit souvent au Japon. On dirait que celle-ci ne demande qu’à s’écouler. La rouille sur la taule et le bordel autour lui donne un aspect tiers-monde vraiment marqué.

Taudis japonais

Je continue mon chemin et passe devant 3 maisons mitoyennes. On dirait une Nagaya, mais elle est un peu différente de celles que je croise régulièrement. Sa beauté m’interpelle et je reste planté là quelques instants jouant au jeu des devinettes. Qu’est-ce qu’il se cache à l’intérieur ? Depuis quand cette maison existe ? Qui vit ici ?

Nagaya de Lino Ventura

Le ciel gris ne me motive pas franchement à continuer à faire de la photo. Je décide de revenir le lendemain.

C’est sous un beau ciel bleu que la journée commence cette fois. Je piétine à nouveau les chemins d’hier, approfondissant les moindres recoins. C’est que j’ai des Osaka Safari en préparation moi !

Le soleil c’est une invitation à sortir quand on est dans les mois froids de l’année. Je vois plus de monde dans les rues ainsi que des oiseaux en pleine activité. En repassant devant la Nagaya, une vieille dame sort et, me voyant fixer sa maison, elle me dit :

– C’est joli n’est-ce pas ?
– Oui, très. J’aime beaucoup les vieilles maisons japonaises.
– Celle-ci date de l’avant-guerre. J’ai grandi ici. Mais plus personne ne vit là à part moi. Mes voisins ne sont plus là.

Vieille dame

J’ai toujours une admiration pour ces destins fidèles à un lieu. N’ayant plus de voisin, elle s’occupe des fleurs elle-même. Tout en portant ses plantes, elle continue :

– Comme il fait beau, j’en profite pour mieux exposer mes plantes. Elles ont besoin d’affection.
– Comme nous tous non ?
– C’est vrai. Vous venez d’où ?
– De France.
– Ah ! C’est un beau pays !
– Merci. Le Japon n’est pas mal non plus.
– Oui c’est bien le Japon, mais la France ce n’est pas n’importe quoi !

Elle enlève son bonnet et regarde le ciel bleu.

– J’aime bien Jean Gabin et Lino Ventura.
– Ha ha ! Vous connaissez bien ! Mais il faut savoir que Lino Ventura est Italien.
– Ha bon ? Bah désolé alors.
– Non, ça me fait plaisir car je suis à moitié italien de par ma maman.
– C’est vrai ? Bon alors, oui, j’aime bien Lino Ventura.
– À cette époque la France et l’Italie avaient vraiment beaucoup de connexions artistiques. Mais aujourd’hui ce n’est plus vraiment le cas. Plus le temps passe et plus la France perd sa latinité j’ai l’impression.

Je lui propose mon aide pour déplacer un gros pot de fleurs. Elle refuse disant qu’elle a l’habitude. Puis elle me dit :

– Tout change tout le temps de toute façon.
– Je comprends. Changer c’est une chose, mais disparaître c’est une autre. Quand je vois votre maison, j’aimerais qu’elle ne disparaisse jamais.
– Elle sera détruite un jour, comme toutes les autres.

Ce jour j’ai attendu le soleil se coucher et le voir baigner le reste du monde lumineux d’un dernier rayon.

dernier rayon

Je suis repassé plusieurs fois dans les parages au cours des années suivantes. Je n’ai jamais recroisé ma vieille dame, mais sa maison était toujours-là.

Un dernier passage il y a quelques jours et voilà ce que j’ai retrouvé.

bye bye

Un pincement au coeur et une légère colère m’envahit toujours quand ce genre de chose arrive. Ce n’est pas la première fois ni la dernière.

Comme lors de mon premier contact avec cette maison qui n’existe désormais que dans les souvenirs de gens qui s’en souviennent, je joue au jeu des devinettes. Qu’est-il arrivé aux habitants, à ma vieille dame ? N’y avait-il pas mieux à faire que de tout détruire ? Que vont-il construire de moche et d’impersonnel à la place ?

Je continue mon chemin. Et ma vieille baraque de taule aussi a disparue.

les restes

Ce sont comme des destins qui s’envolent. On rase tout pour tourner une page. Un lieu n’est qu’un espace physique qui flotte dans l’air. Nos souvenirs ne sont que de vagues sensations qui flottent dans nos coeurs et nos esprits.

Actuellement mes voisins détruisent leur maison. Il veulent en construire une plus grande au même endroit.

maison detruite

Ce n’est pas une pratique unique au Japon, mais cette capacité à détruire est tellement banalisée ici. Les seules maisons anciennes qu’il reste ne sont que des miraculées.

Parfois finalement, ce sont les maisons des classes populaires qui restent sur pied le plus longtemps. Pourquoi ? Car ils n’ont probablement pas l’argent nécessaire pour la détruire eux-mêmes afin d’en avoir une plus moderne, plus dans l’air du temps … celui qui ne fait que passer.

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Découvrez Hiroshima et Miyajima avec Yann

Par Posted on 3 min lecture

Il y a 10 ans, lors de mon premier voyage au Japon j’ai visité Hiroshima et Miyajima. J’y suis retourné en 2009, en 2012, et en 2016 pour des raisons à chaque fois différentes. Je pensais avoir fait l’essentiel, mais comme tous les touristes de passages j’étais passé à côté du coeur des choses.

Depuis que je travaille dans le projet Japon Safari, où l’on pousse la découverte du Japon à un degré unique, j’ai bien compris que tous les endroits méritent qu’on s’y attarde. Tout est intéressant quand on sait vraiment où regarder. Lorsqu’on croit avoir fait le tour d’un lieu, c’est qu’en général on a vu que les grandes lignes, celles qui éclipse les autres et nous aveuglent parfois.

Emmené cette fois-ci par l’ami Yann qui opère les Hiroshima/Miyajima Safari, je peux dire à présent avoir pu voir au-delà. Je fais mon maximum pour permettre aux voyageurs qui font les Osaka Safari de découvrir le coeur et l’essence de ma ville. C’est plaisant de se laisser transporter par un collègue sur son terrain de jeu un peu comme je l’avais fait avec David à Tokyo. Ça me donne l’impression de vivre un peu ce que je mes voyageurs peuvent vivre à mes côtés. C’est très agréable 🙂

On ressemble parfois à des magiciens, tant un lieu se colore avec nous. Yann, m’a fourni toute une palette de pigments pour colorer l’île de Miyajima et la ville d’Hiroshima. Sur l’île sacrée, on n’a pas croisé un touriste, alors que Miyajima est réputée pour être noire de visiteurs. Il y a Miyajima avec lui et sans lui. Sur Hiroshima on a vu des coins sympas, car la ville est agréable. On y mange très bien et Yann, le gourmand sait toujours où nous emmener pour déguster des spécialités. Hiroshima pour beaucoup c’est la ville de la bombe atomique, un fait historique lié à la mort, mais il est important de la regarder aujourd’hui pleine de vie. Bien sûr, on ne passe pas à côté de son passé dont la ville porte encore les stigmates. Avec Yann, on aborde ce sujet difficile de manière interactive et sensorielle. On touche, on observe, on réfléchit et on regarde. On ressent l’histoire jusque dans les tripes alors qu’on a pas posé les pieds dans le fameux musée de la paix.  Je ne vous en dirais pas plus. Je ne vous en montrerais pas plus. Je vous laisse découvrir tout ça de vos propres yeux aux côtés de Yann. 

Bravo l’ami, c’est du bon boulot !

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En voiture de Tokyo à Osaka en passant par les Alpes japonaises

Par Posted on 7 min lecture

J’ai posté dernièrement un gros article où je revenais sur ces années précédentes à explorer le Japon.

Il conclut une époque, un état d’esprit et met en place la suite, différente, plus locale. Mais les voyages ne s’arrêtent pas pour autant. Fin octobre je repartais pour une mission un peu spéciale avec des voyageurs que je connaissais. Cette mission débutait à Tokyo et finissait à Osaka. Le véhicule principal : la voiture. C’est parti ! Direction Tokyo tout d’abord en Shinkansen.

Comme je l’écrivais il y a quelques années, le Mont Fuji est capricieux.

Tokyo

Revenir à Tokyo est toujours quelque chose de spécial pour moi. J’y ai tant de souvenirs. Mon amour pour Osaka étalé sur les réseaux me fait souvent passer pour quelqu’un qui n’aime pas la capitale, ce qui est totalement faux. Ce qui me dérange parfois c’est la manière dont certains la voient ou lui accordent des privilèges en parlant d’elle. En tout cas c’est un plaisir d’être là même si je dois reprendre les bonnes manières.

Je reviens donc sur les lieux qui m’ont marqué il y a 10 ans. Une chasse nostalgique des plus agréables sur les traces de mes premiers pas au Japon ; le tout en prévision d’un gros article posté le 26 janvier 2016. Je vous invite à le lire si ce n’est pas déjà fait.

Le lendemain c’était les géniaux Tokyo Safari avec l’ami David, dont voici une présentation : Découvrez les David Michaud Safari  

Kamakura

Puis c’est parti pour la mission ! Je récupère la voiture et les clients le matin et direction le mont Fuji avec un passage éclair sur Kamakura. Je sais que ce n’est pas rendre hommage à cette ville si riche et agréable et sa plage de sable noir (si souvent sale malheureusement). Mais il faut faire des concessions.

Région du Mont Fuji

On sort des zones urbaines pour s’approcher de la nature. C’est toujours un plaisir d’être sur les routes, mais ce n’est pas encore cette fois-ci que nous aurons la clémence des divinités pour observer le volcan. Un voile se formait à notre arrivée dans la région. C’était joli certes, assez pour prendre un bon cliché, mais les gros nuages de pluie sont arrivés dans la foulée.

Stop à Gora pour déposer les clients au Gora Kadan, un hôtel prestigieux dont la patronne parle un italien absolument parfait. Je n’ai dormi à l’hôtel (faut pas exagérer non plus), mais les voyageurs m’ont généreusement invité à dîner avec eux. La vie est parfois luxueuse avec moi 🙂

Vallée de Kiso

Un vieux coup de coeur depuis longtemps. Ça doit faire bien 7 ans que j’ai découvert ce si joli coin du Japon. J’y ai quelques adresses secrètes qui valent le détour, notamment une auberge cachée où pendant le repas on a l’impression de manger les saisons. Le lendemain visite rapide d’une brasserie de saké et balade à Magome et Tsumago avec quelques interactions avec les locaux. Ces deux petites ville-étapes de l’ancienne route de Nakasendo sont vraiment jolies. Tsumago a particulièrement ce charme rustique typique de la campagne.

Shirakawago

Le fameux village aux toits de chaume. Il y en a plusieurs au Japon et pas seulement dans cette région. On ne fait que passer à travers les Alpes japonaises pour rejoindre Kanazawa. C’est toujours sympa de se balader dans ce village bien qu’il soit devenu très touristique.

On en vient toujours à se demander jusqu’à quand le tourisme fait du bien et à partir d’où il commence à nuire à l’ambiance d’un lieu. Mais la vie est ainsi faite. Nous voulons tous faire des découvertes étonnantes et parfois ça implique de devoir se partager ces privilèges. Qu’il y ait du monde je peux comprendre, mais là où j’ai plus de mal à accepter la chose c’est quand un lieu, qui n’était pas abandonné, se trouve dénaturé de sa fonction première.

Pour rejoindre Kanazawa j’ai décidé de prendre le chemin le plus long, mais de loin le plus beau, j’ai nommé la route Hakusan Super Rindo qui s’habille d’automne en ce moment. Venir titiller les sommets tandis que le soleil rasant colore la nature a quelque chose de jouissif. C’est dangereux en tant que conducteur, car dans ces moments-là ce n’est pas la route que l’on a envie de regarder, un faux pas et nous voilà partis pour un vol plané dans le vide. Je n’ai pas envie de mourrir surtout qu’actuellement, face à ces si beaux paysages, je ne suis pas sûr que le paradis face le poids.

Kanazawa

Là encore une ville chargée de souvenirs. Comme je le dis souvent, la seule ville qui, selon moi, mérite le titre de « Petite Kyoto ». On y retrouve le même degré de raffinement bien que l’esthétisme soit différent. Kanazawa et son jardin, Kanazawa et ses quartiers de Geisha, dont les maisons, fardées de pigment Bengala, ne ressemblent à aucune autres du pays.  Kanazawa et sa cuisine qui se transporte dans les embruns.

De retour à Kanazawa, une ville où les poissons et fruits de mer sont excellents ! pic.twitter.com/tSNyVs9e6L

On fait quelques classiques. Jardin Kenrokuen, château et le Musée du 21e siècle dessiné par SANAA, toujours sympa à voir même si les expos me laissent quelques fois plus perplexes. Cette fois-ci comme pour ma première visite il y a avait des choses intéressantes et bien trouvées. Puis direction Higashi Chayamachi, toujours joli à la fin de la journée et pause autour d’un bol de thé matcha recouvert de feuilles d’or, une des grandes spécialités de la ville. Ici, ils en mettent partout, sur les pâtisseries, dans le thé ou même sur le poisson cru.

Le soir on a dîné et les clients sont allés se coucher. Moi j’ai continué la balade en solo, à la recherche des zones que l’on ne montre jamais de Kanazawa, ville a l’image très lisse. L’expérience m’a prouvé que souvent plus c’est lisse, plus c’est louche. Comme partout, les coins plus populaires et « chauds » existent. Moi je ne m’en plains pas, j’adore ce Japon-là ! Mais si je reporte la taille de la ville à ses zones chaudes, la proportion n’est pas négligeable. En fait je suis parfois étonné par la vivacité des quartiers chauds des villes moyennement grandes.

— Angelo Di Genova (@horizonsdujapon) 4 Novembre 2015

Péninsule du Noto

Cette péninsule est difficile d’accès et possède assez peu d’habitants. C’est en général le cocktail nécessaire pour voir des paysages préservés. Ici, on va taquiner la mer, de près, très très près. Quel plaisir de rouler sur cette plage, ouvrir la fenêtre, entendre les vagues et sentir l’air marin tout en roulant !

Une petite pause dans une gargote pour manger des coquillages au barbecue et nous voilà repartis vers les rizières, les plages et le bleu immense, celui qui se confond entre ciel et mer. Une nuit dans un superbe ryokan pour les clients et le séjour qui approche à sa fin.

Osaka

Un finish en beauté dans ma ville adorée. Découverte des classiques comme des ruelles plus charmantes. Un Japon différent de celui vu depuis le début du voyage. C’est là, la vraie raison de visiter à Osaka ! C’est un oasis planté au milieu du pays. Après tant de journées, je suis content de revenir chez moi, dans mon terrain de jeu. Je croise les gens des quartiers populaires et observe leur regard. Pas de doutes, me revoilà dans la cité de Naniwa !

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5 ans déjà !

Par Posted on 24 min lecture

RÉTROSPECTIVE PERSONNELLE SUR LES ÉVÈNEMENTS SURVENUS AU JAPON IL Y A CINQ ANS AVEC LA DOUBLE CATASTROPHE DU TSUNAMI ET DE LA CENTRALE DE FUKUSHIMA

Cela fait donc 5 ans. Déjà ! Aujourd’hui les articles sur le sujet vont inonder internet. Au départ je ne pensais pas forcément écrire quelque chose, mais il se trouve que j’ai de la matière qui sommeille et qui n’a jamais été rendue publique.

Cette période suivant cette catastrophe est probablement la plus éprouvante de ma vie psychologiquement. Je n’ai pas envie de me plaindre mais j’ai perdu ce que j’avais construit professionnellement pendant plusieurs années. Sur la paille, sans boulot et dans un état moral déplorable, le seul moyen que j’ai trouvé pour garder le cap était d’écrire ce que je vivais au jour le jour. Le résultat est un livre, imprimé en 3 exemplaires, qui est toujours resté dans le cercle privé. De simples notes qui reflètent des états à des moments précis. Je vais montrer quelques extraits ici pour la toute première fois.

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PREFACE
Nous pensons tous. Nous avons tous des pensées qui nous traversent l’esprit. C’est de celles-ci dont il est question dans cet ouvrage. Ces pensées nous viennent naturellement, mais cela ne veut pas dire que nous les cautionnons toutes.

Toutes les informations des pages suivantes m’ont été accessibles via divers médias, jour après jour. J’y ai eu accès en tant que personne à informer. Ce n’est pas à moi de juger si elles sont scientifiquement justes. Je représente le peuple à qui l’on communique et vers qui je m’adresse aussi à présent.

Je n’essaie pas de donner une vision exhaustive de la situation. Je me suis concentré sur ce que j’ai vécu, là où j’étais et sur les informations dont j’ai accès à distance pour juger de la situation.

La réalité, je ne serais jamais sûr d’y avoir droit tant que je ne l’aurais pas devant mes propres yeux.

JOUR 1
Vendredi 11 mars 2011

Cela fait moins de 48 heures que je suis arrivé au Japon après avoir passé plus de 2 mois en France. Je retrouve le pays tel que je l’ai laissé. Ma ville, Osaka, mon quartier, mon appartement, où je vis partiellement depuis plus d’un an avec ma petite amie japonaise.
Je reviens donc pour effectuer des missions d’accompagnement de voyage pour des touristes occidentaux au sein du projet Japan Trotter, lancé depuis 2009. Nous sommes au mois de mars, les pruniers sont en fleur et ils seront bientôt suivi par les cerisiers qui lanceront la plus importante saison touristique du pays.

Je me balade en ville et monte dans un magasin. Au cinquième étage, regardant un produit, je sens comme une légère sensation de flottement. J’ai l’impression d’avoir la tête qui tourne ou le mal de mer. Je regarde autour de moi, ne bouge plus et me concentre sur ce que je ressens. Le sol bouge. Mon corps bascule légèrement, un peu comme dans un bateau. Une sensation amusante, mais qui devient vite désagréable. C’est une force extérieure qui semble prendre le contrôle de notre corps et le faire balancer. Nous ne sommes plus maîtres de nous, troublés.
Le sol se fait de plus en plus instable. Autour de moi, personne ne fait vraiment mine de remarquer quoi que ce soit. J’ai l’impression d’être le seul à comprendre qu’il y a en ce moment même un tremblement de terre. Ce dernier commence à être long et les basculements sont amples. C’est inhabituel. Finalement, des employés du magasin se mettent à observer la chose. Les pancartes suspendues au plafond se balancent de gauche à droite, tandis que la plupart des clients continuent comme si de rien n’était. Ont-ils seulement senti quelque chose ? Puis, petit à petit, tout redevient calme et se stabilise. C’est passé. À priori, c’était un tremblement de terre de routine. Je regarde l’heure. Il est 14h47.

Après m’être installé dans un café, j’arrive chez moi vers 17 heures, allume mon ordinateur et consulte mes mails. Je viens d’en recevoir un de mon père :
«Salut Angelo, je viens de me lever et d’apprendre la catastrophe. Qu’en est-il à ton sujet ?»
La catastrophe ? Quoi ce petit tremblement de terre ? Pas de quoi s’inquiéter ! Impossible qu’on en parle en France. Je décide alors d’allumer la télévision et tombe sur des directs montrant ce qu’il s’est déroulé cet après- midi pendant que je sirotais mon Matcha Late.

Réalisant l’ampleur de la catastrophe, voyant les images impressionnantes diffusées en France, je me dis que j’ai intérêt à prévenir mes connaissances françaises que je suis bien en vie. Pour les personnes qui ne connaissent pas bien le Japon, il leur est difficile de juger des distances et donc de se rassurer quant à ma position vis-à-vis de la catastrophe.

Ma famille, mes plus proches amis, en général, ils ont été plus rapides que moi. Petit à petit, je croule sous les messages me demandant si je vais bien. Difficile de suivre le rythme effréné d’informations circulant actuellement à travers tous les médias. Entre la télé japonaise, la télé française sur le net, les messages des proches, les réponses à faire, les actualités renouvelées sur les réseaux sociaux et les sites d’informations, ma tête s’échauffe. Tout le monde réagit, commente, interprète, questionne. Le trafic sur la toile est incroyable ! Les gens finissent par se dire que Facebook a été très utile. Certains sont presque reconnaissants envers le site, qui a été un des rares éléments leur permettant de communiquer avec leurs proches sans aucun souci.
1 mort, 5 morts, 13 morts, 26 morts. Le chiffre ne fait qu’augmenter à mesure que les heures passent.

JOUR 2
Samedi 12 mars 2011

Après une nuit agitée, mes yeux s’ouvrent tout doucement, éblouis par la forte lumière qui traverse le rideau de la fenêtre de mon petit appartement. Je regarde dehors. Un ciel bleu et une belle journée s’annoncent. La lumière est très blanche, comme souvent le matin au Japon. L’espace d’un instant, j’en oublie presque ce qu’il s’est passé hier. Rien en ce moment même ne me relie vers le monde extérieur. Je m’assois sur mon lit et savoure ce calme et ce silence. Je sais que lorsque je vais allumer la télé, l’information fera son oeuvre et la paisible vie qui se déroule sous mes yeux n’existera plus laissant place à la catastrophe. Tandis que ma vie est ensoleillée, ce qui est plaisant, c’est que je reste maître de décider à partir de quand j’accepte de rentrer dans ce monde de l’information et de consommer la tristesse du monde. Après quelques minutes, j’allume la télé, et passe donc de la réalité sensitive à la réalité intellectuelle.

La catastrophe au Japon fait la une des journaux du monde entier. Ici, les grands quotidiens indiquent le chiffre provisoire de 1200 morts et disparus. Le monde entier a découvert le phénomène des tsunamis en 2004 avec la catastrophe dans l’océan Indien. Hier, le mot tsunami est retourné dans son pays d’origine.

L’information au Japon se concentre sur les dégâts et sur les réfugiés dans la région de Sendai. Les habitants des zones touchées par le tsunami au nord de Tokyo sont privés d’électricité et d’eau courante.
Grâce à internet, j’arrive à regarder en streaming la chaîne d’info i-télé. Je trouve que comparativement aux médias japonais, i-télé parle beaucoup plus de la situation à Tokyo. Sans vouloir amoindrir les évènements survenus dans la capitale et le choc psychologique subi par ses habitants, je trouve qu’il serait plus judicieux de se concentrer sur les zones réellement touchées.

Des répliques continuent dans la région du Kanto et du Tohoku.
Il y a même eu un tremblement de terre de magnitude 6,7 a eu lieu dans la préfecture de Niigata.

On apprend que le tremblement de terre d’hier s’est produit à 24,4 kilomètres de profondeur et qu’il a fait déplacer Honshu, l’île principale du Japon, de 2,4 mètres d’un seul coup.

On commence à parler d’une centrale nucléaire qui aurait été endommagée par le séisme et le tsunami. Le nom de Fukushima se fait entendre. On parle de rejet de matière radioactive dans l’air et d’un nuage blanc. Des mesures de sécurité sont mises en place. Les habitants commencent à évacuer une zone de 10 kilomètres autour de la centrale. On demande aux habitants vivant dans un rayon de 30 kilomètres de se calfeutrer chez eux.

Google met en place un outil en ligne pour retrouver les personnes disparues.

Dans l’après-midi, la police japonaise fait état de 1400 morts et disparus. Le chiffre semble ne plus vouloir s’arrêter.

Je ne sais pas si je me rends bien compte de ce qu’il se passe. Hier matin, encore, tout était normal ici. Il me faut digérer toute cette matière.

Les médias français commencent à montrer des images-chocs en rapport avec le nucléaire. C’est beaucoup plus alarmant que les images de la télé japonaise. On voit le symbole radioactif habillant les textes du journal info. On emploie un vocabulaire fort, mais pour l’instant, je reste plus obnubilé par les dégâts du tsunami.

Je ne comprends pas pourquoi en Europe on parle d’un tremblement de terre de magnitude 8,9 alors qu’au Japon le chiffre est de 8,8.

JOUR 3
Dimanche 13 mars 2011

Aujourd’hui, je me lève comme d’habitude. Les prévisions météo sont unanimes : la journée va être superbe à Osaka. Il va faire 16 degrés. Le printemps pointe sérieusement le bout de son nez. En temps normal, les Japonais profitent de ces moments-là pour pique-niquer dehors au sortir de l’hiver.

Bilan ce matin : environ 1800 morts et disparus.

Ici, il fait beau. Là-bas, il pleut.
Ici, les abeilles butinent les premières fleurs. Là-bas, les flocons de neige rappellent que le printemps n’est pas pour l’heure.
Ici, c’est comme si rien ne s’était jamais passé. Là-bas, c’est comme si plus rien ne subsisterait.
Le contraste fait peur. La valeur de ce simple quotidien paisible grandit avec l’impression d’être dans une région privilégiée, celle-là même qui tremblait en 1995 avec le séisme de Kobe.

On voit les images de l’explosion survenue hier après-midi à la centrale nucléaire de Fukushima. C’est le toit qui a sauté.
L’IRSN, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire annonce que des «rejets (radioactifs) très importants» se sont «produits simultanément à l’explosion» d’hier.

Des experts du nucléaire sont invités et prennent la parole dans les médias du monde entier.

On voit des vidéos et des images des réfugiés du tsunami installés dans des gymnases.

Un communiqué de l’ambassade de France au Japon donne diverses informations. Elle parle d’un bilan provisoire de plus de 10 000 morts et déconseille aux voyageurs de se rendre au Japon. Le communiqué traite aussi de l’éventuelle distribution de capsules d’iode, censées limiter les risques de contracter un cancer de la thyroïde. Jusqu’à présent, je ne savais pas que de telles capsules existaient.

Avec toutes ces informations, je commence à m’inquiéter de la situation à la centrale de Fukushima et me rends compte que les radiations peuvent venir jusqu’ici, à Osaka.

Nous dînons ce soir avec toute la belle famille. La télé tourne en fond. La plupart des chaînes continuent de parler uniquement de la catastrophe en apportant leur lot d’images tristes tandis que nous on profite de la soirée. La bière est en abondance. Les sourires, les discussions, la bonne ambiance habituelle des Japonais. J’aime beaucoup ces moments-là. Pourtant, un goût amer me reste à la gorge. Ce goût est-il aussi dans la gorge des gens autour de moi ? La bonne ambiance actuelle n’est-elle pas une manière de décompresser aussi au sujet de cette histoire ? L’envie d’oublier un instant la tristesse que l’on éprouve pour les sinistrés et toute la souffrance qui abonde dans le pays actuellement.

Je décide d’aborder un peu le sujet du tremblement de terre, du tsunami, mais surtout du nucléaire ; chose qui n’avait pas été faite jusque- là. Oui, c’est grave pour eux. Oui, ils compatissent. Mais, non, ils ne sont pas alarmés pour l’instant de la situation à Osaka. Un cousin me dit par comparaison que ce qu’il se passe en Lybie actuellement (massacre de l’armée de Kadhafi contre les insurgés) lui semble bien plus grave : «C’est à la mort directe et immédiate envers quoi ils doivent faire face. Le risque de radiation, ce n’est pas pareil.»

JOUR 4
Lundi 14 mars 2011

12h49
Il fait 18 degrés. L’air est agréablement tiède. Le ciel est un mélange de bleu et de blanc. Les rayons du soleil jouent à cache-cache avec la terre. Les corbeaux croissent comme à leur habitude, symbole que tout va bien. La paisible normalité règne sur les bords de la rivière où je me trouve actuellement, un stylo et mon calepin à la main. Les canards se regroupent vers moi. Quelques promeneurs passent par là. Le train local circule sur un pont enjambant la rivière en face de moi. Des petites fleurs s’épanouissent dans tous les recoins possibles.

canard-osaka

Difficile de croire que le Japon est touché par une catastrophe majeure :
– Un tremblement de terre d’une grande violence.
– Un tsunami furieux s’enfonçant dans les terres.
– Des centrales nucléaires endommagées exaltant
des vapeurs radioactives.
– De probables coupures d’électricité prévues dans
la capitale.
– Un réseau de téléphone bien diminué.
– Une pénurie de certains produits alimentaires et de l’essence.
– 3500 morts et disparus recensés officiellement.
– On parle d’une réplique possible de magnitude 7 dans la semaine.
Empilé ainsi, tout cela est alarmant, ça ne fait aucun doute. Est-ce pour autant sous cet angle qu’il faut prendre ces évènements ?
Quelle drôle de sensation que d’être dans un pays sinistré sans être directement touché !

Devant toutes ces maisons détruites que l’on voit à la télé, on comprend que ce sont des foyers, des familles qui ont volé en éclat. De telles catastrophes poussent les hommes à se remettre en question. On se demande si l’on vit correctement. On a l’impression d’abuser de tout car l’abondance nous entoure. On se dit que l’on a peut-être eu une vie trop matérialiste. Que plus on possède, plus on peut perdre.

J’apprends que les coupures d’électricités seront en fait établies par roulement en 5 zones.
Le courant sera interrompu par tranche de 3 heures. On demande à la population de faire des économies d’électricité quand c’est possible. Je regarde autour de moi, dans mon appartement et cherche où je peux en faire. Pourtant, je me demande si ça sert à quelque chose vraiment.

Hier, l’ambassade de France s’est exprimée en ces termes :
«(…) Il paraît raisonnable de conseiller à ceux qui n’ont pas une raison particulière de rester sur la région de Tokyo de s’éloigner de la région du Kantô pour quelques jours.
Nous déconseillons fortement à nos ressortissants de se rendre au Japon et nous recommandons fortement de reporter tout voyage prévu».
Certains Français ont déjà quitté le pays.

Des équipes de télé japonaises posent des questions à des Français résidants ici. La plupart de ceux qui ont été interviewés veulent partir et sont convaincus qu’il faut le faire le plus vite possible. Un seul seulement affirme qu’il ne panique pas, ne compte pas rentrer et que s’il y a besoin d’aide, ça fera des bras en plus.

En France, on parle de nucléaire à toutes les sauces. On commence à faire des analogies avec Tchernobyl. La tension monte.

JOUR 5
Mardi 15 mars 2011

Après le réacteur 1 et 3, c’est le réacteur 2 de la centrale de Fukushima qui a subi une explosion ce matin.
Le président de l’autorité française de sûreté nucléaire classe l’accident de la centrale de Fukushima à 6 sur l’échelle internationale. Tchernobyl, c’était 7, le maximum possible. Au Japon pourtant, le classement est au niveau 4.

Moi je finis par me dire que dans le pire des scénarios, il faudra peut-être quitter Osaka. Je pourrais effectivement rentrer quelques semaines car je suis libre et sans engagements étant donné que les premiers voyages dont je devais faire l’accompagnement ont été annulés. Ma famille me fait comprendre que si je veux rentrer, il n’y aura pas de soucis pour l’argent, ils m’aideront. L’important pour eux est que je sois en sécurité. Ils semblent plus inquiets que moi. Pour l’instant je reste.

Dans les zones sinistrées, il y a de longues files d’attente aux rares pompes à essence fonctionnant. Une limite de consommation par voiture est établie à 2000 yens. Ce n’est pas beaucoup. Je me demande si certains tentent de faire les malins pour en obtenir plus.

Une vidéo amateur circule sur le net afin d’expliquer aux enfants japonais la situation de la centrale de Fukushima de manière imagée. C’est très drôle. La centrale a une forme humanoïde. À cause du séisme qui vient de se dérouler, la centrale a été très secouée et a maintenant mal au ventre. Elle a tellement mal qu’elle veut faire caca. Mais, un caca de la centrale pue tellement qu’il embêterait tout le monde. Il faut donc à tout prix éviter ça. Malgré les efforts de la centrale pour se retenir, de temps en temps elle lâche des gaz. Ces gaz puent un peu, mais pas suffisamment pour être très graves. Pour définitivement empêcher la centrale de faire caca, des médecins vont sur place pour lui donner des médicaments. Grâce à leurs efforts, la centrale pourra peut-être guérir.

Pendant une guerre, ça doit être un peu comme ça. Il y a forcément des endroits où aucune bataille ne se déroule. Dans ce cas, la vie suit son cours tant bien que mal. Quand, je repasse les images de reportages sur la seconde guerre mondiale dans ma tête, j’ai dû mal à imaginer que des gens allaient au restaurant, que des films sortaient au cinéma, que des soirées dansantes étaient organisées avec les dernières chansons à la mode, que les gens allaient travailler quand c’était possible. Pourtant, c’était sûrement le cas. Ce n’est pas la partie que l’on retient d’une guerre et donc, finalement, ma génération, qui n’en a pas vécu, a du mal à s’imaginer ce que ça doit faire de vivre des moments pareils.

Aujourd’hui, toute proportion gardée, j’ai l’impression de pouvoir un peu mieux comprendre ce à quoi ça peut ressembler. J’ai l’impression que dans toutes les situations possibles, il n’y a pas d’exception, autant que faire se peut, la vie suit son cours. Certains détails sont néanmoins toujours là pour nous rappeler dans quel contexte particulier le cours des choses subsiste.

JOUR 6
Mercredi 16 mars 2011

À Osaka, la vie suit son cours. Les Japonais continuent leurs activités. Ma famille m’ordonne presque de rentrer en France.
Comment réagir ? Je n’ai pas le droit de les inquiéter comme ça. Mais ce n’est pas si simple. J’ai une vie sur place, une vie que je suis entrain de construire.
Beaucoup de personnes ont fui le Japon. Mais quand je regarde ce pays, actuellement, devant mes yeux, à Osaka, je n’y vois aucunement l’objet de toutes les peurs. Rien n’y est affolant. J’ai l’impression d’être pris en sandwich entre deux réalités qui ne se ressemblent pas du tout. Ça me trouble au plus haut point.

Le risque de radiation, c’est vraiment traître ! C’est un ennemi que l’on ne voit pas, que l’on ne sent pas. Impossible de l’affronter en se basant sur ses sens. On est dépassé. C’est l’angoisse d’un risque omniprésent. Je regarde par la fenêtre. Y a- t-il des radiations en ce moment même dehors ?

Quand je marche à l’extérieur, je sens l’air frais caresser ma tête et passer entre mes cheveux. Est- il chargé de radiations ? Les taux communiqués prouvent que le niveau est normal à Osaka. Mais comment faire confiance réellement à des chiffres que l’on nous communique ?

Livre-catastrophe-11.03-Angelo-01

Le temps passe. Mentalement, je suis anéanti. Le regard dans le vide. Professionnellement tout s’effondre. Tout les touristes semblent avoir annulé leur voyage. Le projet touristique sur lequel je travaille depuis 2008 est entrain de s’effondrer devant mes yeux. Des années de travail qui volent en éclat en quelques jours.

J’ai perdu toutes mes forces et commence à honnêtement m’inquiéter de la situation. J’envisage le pire. J’envisage la mort, le chaos, la souffrance, la fuite, la perte. Je suis sain et sauf, mais devant un choix incroyable qui conditionnera mon avenir, ma vie. Au fond de moi, rien n’existe plus et je suis angoissé par les évènements. Je vois la centrale du Fukushima comme un monstre prêt à tout casser. C’est un cancer. Une tumeur dans le corps du Japon. Est- ce qu’elle viendra jusqu’ici ? Doit-on tout abandonner ?
Même si je voulais partir, je suis tellement vidé mentalement que je ne suis pas sûr d’en avoir la force.

L’ambassade de France au Japon affirme que la situation est grave sur le site nucléaire de Fukushima. Un accroissement des niveaux de radioactivité a été constaté à Tokyo.
«À titre préventif, mais aussi afin de faciliter la tâche des autorités japonaises, dans l’hypothèse d’une aggravation importante de la situation, un éloignement de Tokyo (et plus généralement des régions relativement proches de la centrale de Fukushima) vers le sud du pays, ou un retour en France est recommandé à tous ceux dont la présence n’est pas indispensable sur leur lieu de résidence et de travail».

Les médias français diminuent leurs effectifs dans la capitale.

Le premier ministre François Fillon s’exprime à l’Assemblée générale sur la situation au Japon. Deux avions gouvernementaux vont être mobilisés pour rapatrier des Français. Une boîte mail est établie afin de s’inscrire : aideretour.ambafrance@gmail.com
L’ambassade ne dit pas qu’il faut fuir le Japon, mais ces avions gouvernementaux résonnent comme tel.

Une vidéo circule sur le net. Celle d’une interview de Cécile Duflot, secrétaire des Verts. Elle dit que le Japon est dans l’hémisphère sud ! C’est ridicule. J’apprends qu’elle a en plus un DEA de géographie. C’est ça les spécialistes à qui on donne la parole en France ? Oui, je sais, c’est un cas isolé et on a droit à l’erreur. Il serait stupide de mettre tout le monde dans le même panier, mais tout de même. On est en droit de se poser la question.

Ma petite amie est moi, nous partons pour le quartier animé de Umeda. Ce samedi soir, nous allons au restaurant avec un couple d’amis japonais dont la femme est enceinte d’une petite- fille. Nous allons donc chercher un cadeau pour le futur bébé en vue de leur offrir lors de notre rencontre. Si je me base sur ce qui est dit en France, j’ai l’impression que l’avenir de cette petite fille sera à jamais lié à Fukushima. Voilà ce à quoi je pense lorsque je descends en escalator au sous-sol d’un grand magasin, à l’étage consacré aux enfants en bas âge. Musique ridiculement joviale, couleurs rose et bleu pastel, futurs parents faisant des achats le sourire aux lèvres, caressés par la chaleureuse attente d’un bébé. Un papa porte son fils sur ses épaules et marche à travers les rayons, tandis qu’un bébé boit du jus de pomme que sa mère lui donne affectueusement. Quand j’écris le mot rayon, je suis obligé de me rappeler la radioactivité.

En rentrant chez moi, je consulte mes mails. Pleine de bonne volonté, ma famille continue de me convaincre de rentrer :
«Tu devrais quitter le pays ! Si tu restes, tu te condamnes toi-même. Pas de besoin de se poser 1000 questions. Ta famille te demande de rentrer parce qu’il y a un risque, aussi infime soit-il, ça ne sert à rien de s’exposer au danger lorsqu’il y a une solution pour l’éviter».
Chaque phrase, chaque mot, me détruit à petit feu et me plonge encore plus dans les abysses. Oui, je les comprends. Je suis d’accord, mais . . . je ne trouve pas les mots pour expliquer cette force qui agit sur place et qui semble me dire de rester encore pour l’instant.
Une journée noire, dont je me souviendrai toute ma vie, vient de se dérouler. Une nuit très agitée s’annonce et je n’ose pas penser au lendemain . . .

JOUR 7
Jeudi 17 mars 2011

Un camion est arrivé à Fukushima avec de l’eau pour inonder la piscine où les combustibles nucléaires doivent refroidir. La température monte dangereusement depuis hier car l’eau de refroidissement diminue. On parle de fusion et de très forte radioactivité sur place. Un hélicoptère a déversé 5 tonnes d’eau sur la centrale n°3. Des opérations du même type sont prévues toute la journée. Tout ça sent un peu le « bricolé ». Est-ce peine perdue ? Est-ce juste des mesures pour gagner du temps ?

Pénuries de produits de première nécessité à Tokyo. Certains magasins sont à moitié vides.

Hier, un article a été publié sur France-Soir témoignant de la psychose qui existe dans l’hexagone. Malgré le discours rassurant des spécialistes, affirmant que l’impact des accidents nucléaires au Japon sera nul en Europe, des pharmaciens français ont vendu des boîtes d’iodes.
Un pharmacien ajoute dans l’article : «Il y a une partie de la population qui somatise très vite. On a vu des gens qui se battaient presque pour les masques pendant la grippe A».

Mon instinct me parle bien que je ne puisse totalement lui faire confiance.
Rentrer via le premier avion ? J’ai l’impression d’avoir statistiquement parlant plus de chance de mourir dans un accident d’avion qu’en respirant l’air d’Osaka. Si je reste, je risque d’être exposé et c’est la sensation d’être souillé qui me dérange. Souillé par un mal dont je ne sais pas sous quelle forme il fera surface.
Si un jour, par malheur, mon enfant naît avec des problèmes, je ne pourrais m’empêcher de me dire que c’est peut-être à cause des radiations. Si je suis touché par un cancer, c’est pareil.

Il existe plusieurs unités de mesure en rapport avec les radiations. Tout est mélangé : becquerel, sievert, gray. Difficile pour les non-initiés d’y comprendre quelque chose et quelles sont les différences. Néanmoins, pour mesurer l’effet d’une radiation sur un organisme, c’est le sievert qui semble le plus approprié. C’est d’ailleurs l’unité de mesure utilisée par les autorités japonaises lors de la plupart de leurs interventions.

J’apprends aussi qu’il y a très peu d’études menées pour découvrir les effets d’expositions à long terme à de faibles débits de radiations. On a encore beaucoup de choses à apprendre sur ce point. Que sait-on au juste à part que ça peut augmenter les risques de contracter des cancers ?

Je lis sur Internet qu’une centrale nucléaire ne peut pas exploser comme une bombe atomique. Si cette simple info est vraie, il faudrait clairement l’annoncer au peuple car beaucoup ne le savent pas. Ça va péter, ça va péter, on entend que ça.

Sur le site internet Aujourd’hui le Japon, un article fait état du compte-rendu de l’ambassade d’Angleterre dans l’archipel. Le discours y est bien différent de celui de l’Ambassade française. Pour eux, c’est clair, on est dans une situation complètement différente de Tchernobyl. Ils affirment que dans le pire des cas, c’est-à-dire d’une fusion totale d’un réacteur et d’une explosion radioactive, une zone d’exclusion de 50 kilomètres devrait suffire. Selon leurs experts, Tokyo est sans danger. Il faudrait que le niveau des radiations actuel soit cent fois supérieur pour que ça nuise à la santé, et selon eux, ça n’arrivera pas.

Après avoir lu le discours de l’ambassade anglaise, en ayant connaissance des mesures prises par les autorités japonaises et en suivant les médias français, une question m’obsède :
Pourquoi les experts des différents pays ne préconisent-ils pas la même chose ? S’ils se basent sur de la science, cette dernière n’est pas censée être différente d’un pays à l’autre. Où alors, il y a autre chose ?

Air France a annoncé baisser ses prix du Japon vers la France. Une connaissance me parle quand même d’un billet aller simple à plus de 1700 euros. C’est pratiquement deux fois plus cher que
d’habitude pour un vol aller-retour. Certaines compagnies profiteraient du vent de panique pour augmenter leurs profits ?

Depuis, hier, on me dit que ça va péter dans les deux jours, que la situation ne pourra jamais s’améliorer ni même se stabiliser. On m’avait prédit que cette journée serait décisive. J’ai attendu le pire et commencé à penser à l’après. J’ai appelé un ami resté sur Tokyo pour le mettre en garde. J’ai passé ma journée à suivre les infos, attendant l’évènement si redouté. Je m’apprête à aller me coucher et rien ne s’est passé.

JOUR 8
Vendredi 18 mars 2011

Cela fait une semaine maintenant que le tremblement de terre et le tsunami ont eu lieu. À 14h46, heure de la première secousse, une minute de silence est observée.
À la télé, des reportages font des rétrospectives sur cette semaine passée. Que d’évènements ! Ça fait vraiment beaucoup en quelques jours et ce n’est peut-être pas encore fini.
Mais, aujourd’hui, on apprend que la radioactivité baisse petit à petit. Je me sens vraiment redevable envers les hommes qui sont là-bas, à la centrale. Ils ont un vrai mérite. Je leur souhaite de ne jamais souffrir à cause des radiations.

JOUR 9
Samedi 19 mars 2011

Je suis réveillé par des voix de lycéens qui récoltent des dons pour les sinistrés. Le lycée est juste à côté de chez moi.

Incroyable ! Un survivant a été retrouvé sous les décombres huit jours après le tsunami.

On voit de plus en plus d’images détaillées de zones sinistrées. Un bateau de taille moyenne est suspendu sur le toit d’un immeuble de 5 étages. On commence à faire des recherches plus sérieuses sur la taille réelle du tsunami. Il est possible que la vague ait atteint par endroits une hauteur de plus de 10 mètres.

977 Français ont été évacués depuis jeudi par des avions gouvernementaux.

Les tentatives pour rétablir l’électricité à la centrale continuent. Les infos se contredisent. On ne sait pas si c’est réellement en bonne voie ou pas.
L’arrosage continue sans relâche et semble être bien organisé à présent. C’est avec un canon à eau que c’est fait depuis ce matin.

JOUR 10
Dimanche 20 mars 2011

Je suis toujours au Japon. Je fais peut-être l’erreur de ma vie. Je le saurai un jour, si par malheur, dans de nombreuses années, devant ma balance déséquilibrée j’aurais les larmes aux yeux et le coeur plein de regrets. Mais les choses peuvent aussi se dérouler autrement. En attendant, j’ai l’impression d’avoir fait les bons choix. C’est le plus important.

Par la pensée, je reviens en arrière, avant la catastrophe, voyageant à travers mes souvenirs, m’exaltant de la simple normalité qui existait avant où rien ne s’était écroulé. Je repasse ce moment de ma vie sans troubles où le printemps 2011 s’annonçait particulièrement positif. La vie normale. La vie simple. La vie où l’on avance sans obstacle. Ces moments-là sont des chances que l’on doit savoir apprécier à leur juste valeur car en réalité ils peuvent être rares. On les appelle «moments normaux», mais en réalité, ils sont exceptionnels.

*****

Aujourd’hui, je vis toujours à Osaka. J’ai du me renouveler professionnellement. Ma petite amie est devenue ma femme, et le 11 mars, cette date sombre de ma vie, est aujourd’hui celle d’un heureux évènement, celui de la naissance de ma fille, qui est en pleine forme et a un an aujourd’hui. C’est le hasard, d’accord, mais pour moi, c’est tout un symbole. Cette date me donne aujourd’hui le sourire et je peux à nouveau profiter du parfum enivrant des pruniers.

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Une visite nostalgique dans le Japon de 2006

Par Posted on 15 min lecture

Je traverse le fameux carrefour piéton de Shibuya. J’aperçois en face le Qfront ainsi qu’une affiche publicitaire pour la sortie prochaine de Final Fantasy XII. Je me dirige vers le magasin de musique HMV, passe devant Sakuraya. Je suis le seul Occidental à la ronde. Keep Trying, le nouveau tube de Utaka Hikaru passe dans HMV. Il y a un espace qui présente le tout dernier iPod Nano 1GB d’Apple et le groupe Monkey Magic est mis en avant avec Around the World, la chanson du drama Saiyuki, une adaptation de la légende de Son Goku, avec Shingo Katori de SMAP qui est diffusé actuellement sur FujiTv.

nostalgie

Je sors de HMV puis je lève les yeux vers le ciel. Les nuages flottent et dansent comme des réminiscences enfouies au plus profond de mon être. Je voyage actuellement à travers ma nostalgie. J’arpente les souvenirs de mon premier voyage dans le pays de mes rêves d’enfant. Je recherche les sensations qui cueillent des émotions vieilles de 10 ans. Face à cette décennie passée, je me souhaite un joyeux anniversaire de Japon !

Aujourd’hui, le 26 janvier 2016, cela fait donc 10 ans, jour pour jour, que j’ai mis les pieds au Japon pour la première fois de ma vie. J’avais 21 ans et cette expérience résonnera en moi sans jamais faiblir comme une onde vibrant sans fin.

À l’époque Koizumi était encore le Premier ministre du Japon. Le taux de change était de 1€ pour 136¥ environ. À Ginza, il y avait encore l’ancien théâtre Kabukiza et la gare de Tokyo était moins reluisante que maintenant. Matthew Best Hit Tv, l’émission de taré que l’on aperçoit dans Lost in Translation existait toujours. SoftBank n’avait pas encore remplacé Vodafone pour s’implanter sur le marché des opérateurs téléphoniques. Akihabara était plus sympa, avec encore beaucoup de vieilles boutiques et peu de Duty Free Shop. J’y avais acheté un dictionnaire électronique Ex-Word en négociant le prix dans une petite échoppe. Dictionnaire aujourd’hui remplacé par des applications sur mon smartphone. Shinjuku n’avait pas encore sa Cocoon Tower et personne n’avait jamais entendu parler de la SkyTree. La grosse catastrophe qui restait dans l’esprit des gens était celle du tremblement de terre de Kobe 11 ans plus tôt. Personne n’imaginait celle qui surviendrait en 2011.

Je me souviens encore de la première fois où j’ai posé le regard sur le Japon. C’était dans l’avion depuis le hublot. J’y voyais pour la première fois ses terres, montagnes et champs, petites maisons éparpillées sur des terrains parsemés de serres. Je voyais la campagne.

J’atterrissais, foulait le sol. Ça y est, j’y étais ! Mon rêve de gosse devenait réalité. J’allais enfin entrer dans le feu de l’action et ne plus dépendre du filtre médiatique dont je me nourrissais faute de mieux : reportages, films, livres, émissions de télé téléchargées sur Kazaa ou Emule.

Le Japon était jusqu’à présent une entité fantasmagorique, lointaine et inaccessible, que le bout de mes doigts ne parvenait jamais à effleurer. À même pas 7 ans, je foulais déjà les tatami avec mon club d’Aïkido, mais aujourd’hui, c’est le territoire entier que j’allais enfin caresser. Une fois sur place, dès les premiers pas dans la ville, je sentais que j’avais la motivation d’un monstre ! J’aurais pu prendre la lune et la poser aux pieds de n’importe qui ! Si Tokyo était une montagne, je l’aurais gravi trois fois par jour. Je sentais une énergie qui inondait mon corps. Elle me rendait plus droit et fort. Le bonheur d’être là, la curiosité concernant tout ce qui m’entourait, mêlé à l’impression de vivre un rêve éveillé avait quelque chose d’euphorique.

Tokyo-Tower-2006

Je dormais chez W, qui vivait à Kugayama, un quartier résidentiel près du parc d’Inokashira, un coin que j’affectionne tout particulièrement à Tokyo. J’y ai plein de souvenirs et c’est un endroit très agréable de la capitale avec Kichijoji comme point de repère.

Le soir même de mon arrivée, on a acheté des sushis à emporter puisqu’il y a une boutique en sortant de la gare. Au supermarché, j’ai pris une Nodogoshi Nama de Kirin et découvrais le principe des Happoshu.

Je rentrais enfin dans une habitation japonaise. C’était très différent de la France. La salle de bain était une sale d’eau entièrement en plastique. Les toilettes étaient des washlets et sur le plafond de ces pièces il y avait des extracteurs d’air. On séchait le linge sur le balcon, qui était sa seule et unique fonction. La gazinière était un appareil simplement posé sur un étal prévu à cet effet et relié par un câble à l’arrivée de gaz. Le sol semblait être en bois mais avait le touché du plastique. Le lit était à l’occidentale. L’appartement étant petit et relativement récent, il n’y avait pas de pièce en tatami. La télé était plate et HD, une Sharp, leader du marché à l’époque. C’était une première pour moi d’avoir de la HD dans une maison. Jusqu’à présent je ne la voyais qu’à la Fnac. À la télé, entre émissions de bouffe retransmission des JO de Turin, il y avait des pubs pour des bières, pour les Pocky, pour la carte Suica ou encore des boîtes comme Aiful, dont les jingles résonnent toujours en moi.

Le réseau internet était super rapide ! Les bons vieux téléphones à clapets japonais étaient en permanence connectés à internet. La qualité de leur écran, souvent pivotant, me laissait sans voix. Leur son était vraiment bon aussi. Les sonneries totalement personnalisables. W avait Sakura Drops de Utaka Hikaru en sonnerie et le bruit d’un glaçon qui tombe dans un verre quand elle recevait des messages.

http://gigazine.net

Sur ces téléphones il était possible de regarder la télé et de faire pratiquement tout ce que l’on fait actuellement avec des smartphones, l’écran tactile en moins. Je me souviens du choc quand j’écrivais un mail depuis mon ordinateur sur le mail d’un ami, qui me répondait depuis son portable, partageant photo et musique avec facilité. C’était dingue pour l’époque ! En France on en restait aux SMS et MMS limités. Ces téléphones à clapets faisaient un bruit typique en s’ouvrant. On avait rien de tel en France. Ne serait-ce que ce claquement est nostalgique pour moi, comme le croisement des corbeaux, omniprésent à Tokyo. Je les entendais de l’intérieur de l’appartement. Ils donnaient la mesure du temps qui passe. Les sirènes des ambulances, très fortes, ponctuaient la journée, quand ce n’était pas le vendeur de Yaki imo qui passait par là.

J’adorais marcher jusqu’à Kichijoji à travers ce Japon du quotidien, tout ce qu’il y a de plus banal, mais cette jungle de banalité était pour moi d’un exotisme luxuriant. Dans la lumière blanche du rayonnant hiver tokyoïte, je marchais à travers ces petites ruelles paisibles bordées de pots de fleurs devant de coquettes maisons. Je voyais le linge flotter dans le vent sur les balcons et les futons accrochés avec des pinces bleues pour qu’ils ne tombent pas des rambardes. Les poteaux électriques reliaient toutes ces maisons comme le réseau continu d’une fourmilière de plusieurs millions d’habitants dans laquelle j’étais perdu, le sourire aux lèvres néanmoins. Parfois un écolier en randoseru marchait là, étonné de ma présence dans son voisinage. On échangeait des regards, intrigués l’un et l’autre.

Quelques échoppes çà et là. Vendeurs de fruits et légumes, un drugstore et une boucherie qui fait frire des korokke pour les passants. Je continuais ma route en croquant un senbei trempé dans de la sauce soja. Une douceur salée qui rend difficile de dire si c’est un gâteau, une sucrerie ou un grignotage salé.

Tout ceci tranchait avec le dynamisme des quartiers animés. Les Konbini, les ponts en métal parasismiques, les passages piétons et leurs bips-bips quand le feu passe au vert, les devantures colorées des magasins et restaurants et leurs rabatteurs qui crient dans la rue pour alpaguer le passant, les petits Koban, le style vestimentaire des gens, des jeunes et moins jeunes parfois bien excentriques ou encore des salaryman, quelques fois mal vêtus aussi bien que mal réveillés, qui attendaient sagement en file sur les quais de métro.

La ville devenait magnifique la nuit venue. Les couleurs et lumières me donnaient une énergie indescriptible.  J’adorais monter dans les gratte-ciels pour observer Tokyo de nuit. C’était une mer de lumière fantastique ! Je n’étais jamais monté dans un gratte-ciel avant ce voyage. Pour moi c’était incroyable ! Toutes ces lumières comme autant d’âme sous mes yeux. Des millions de personnes, de destins qui se croisent ici même alors que je les observe d’en haut.

Tokyo-nuit-2006

Le plus agréable était le respect de l’autre, presque palpable, bien que parfois artificiel. Quel bonheur c’était d’être-là, sans peur d’être volé, agressé ou emmerdé par qui que ce soit ! Les bousculades étaient quasi-inexistantes, le calme dans le train (sauf après 22h) particulièrement reposant et une certaine harmonie se dégageait de la vie en public. Les vendeurs ne donnaient jamais l’impression qu’on les dérangeaient comme c’est si souvent le cas en France. Ils vous donnaient sacs, produits et argent poliment, dans la main, en vous remerciant. Quel plaisir d’être chouchouté ainsi !

Avec les trains de la compagnie Keio je rejoignais Shibuya en 15 minutes depuis l’appartement. Ce quartier deviendrait rapidement mon point de repère. Je l’ai exploré en long, en large et en travers, tel un voyageur passif observant une éternelle pièce de théâtre.

Shibuya-2006

En janvier 2006 je n’ai vraiment pas croisé beaucoup de touristes ici. J’avais l’impression d’être souvent le seul blanc dans tout Shibuya. Ce qui était probablement faux mais je pouvais me poser la question.

Aujourd’hui, le Japon est devenu une destination touristique à la mode. Mais en 2006 le boum des sushis n’avait pas encore eu lieu. La plupart des Français trouvaient dégoûtant de manger du poisson cru et avant que je parte au Japon quelques imbéciles m’avaient dit : « Alors tu vas manger des nems tous les jours ? »

J’aimais prendre la ligne Yamanote avec ses écrans dans le wagon et observer Tokyo. Les mélodies sur les quais me berçaient, les fauteuils chauffant des trains m’endormaient parfois. À travers les fenêtres, les cubes de verres et de bétons s’enchaînaient dans ce dédale urbain si caractéristique du Japon. Les ruelles en contrebas, les autoroutes suspendues, les buildings au loin, les petits restaurants de quelques places seulement qui s’imbriquent sous les rails, les extracteurs de clim un peu partout et les publicités omniprésentes formait un ensemble si dépaysant. Je regardais là, tombait nez à nez sur une affiche avec Takeshi Kitano. J’aurais aimé voir ça en France.

Au départ je ne décodais pas les divers magasins. Les marques m’étaient inconnues. Je devais m’approcher pour bien comprendre ce que vendait tel ou tel enseigne. Puis, avec le temps, je me suis familiarisé avec les Family Mart, Yoshinoya, Matsumoto Kiyoshi, Tokyu Hands et autres 7eleven.

J’ai vécu beaucoup d’expériences sur place. J’ai fait de belles rencontres et même des amis pour faire du futsal, des parties de foot à cinq. On a même pu jouer sur le toit de Shibuya. Un terrain aperçut dans Fast and Furious Tokyo Drift, le seul film que j’ai vu de cette série.

Je mangeais mon premier Ramen chez Kamukura.  Mon premier Yakiniku chez Fufutei à Shimokitazawa. Je vivais également mes premières véritables expériences concrètes de photographie avec le vieux Pentax compact de W (finalement je n’ai pas pris beaucoup de photos. Je préférais profiter un max de chaque instant). Comme beaucoup, mon premier mariage Shintô était au sanctuaire Meiji-jingu. Mes premiers Omikuji au temple Sensoji d’Asakusa, mes premiers SDF à Ueno …

SDF-Ueno-2006

À chaque minute, chaque instant, je me sentais privilégié d’être au Japon. J’avais l’impression d’avoir pénétré un flux et de me baigner dedans. Un flux nommé Japon. Ce pays je ne le visitais pas seulement, je m’y baignais, car j’avais beaucoup de temps, deux mois et demi au total pour ce premier contact. Toutes mes économies, tout l’argent que j’avais mis de côté avec des petits boulots.

Alors que je ne dormais pas loin, je ne suis jamais allé au musée Ghibli. Je n’ai d’ailleurs pas fait de cérémonie du thé ou assisté à un tournoi de sumo. Les geishas m’indifféraient presque. Ce que je voulais c’était une immersion dans la société japonaise. Je voulais m’améliorer en japonais, découvrir le simple quotidien des autochtones et prendre mon temps, oublier que je dois rentrer un jour, vivre le moment présent sur place au gré de mes découvertes et curiosités.

Je prenais parfois la carte de membre de Tsutaya de W et louait plein de CD, de Rio de Emocion, le dernier album de Dragon Ash, aux Yoshida Brothers, en passant par Begin, le groupe le plus connu d’Okinawa. Je comprenais après coup que la musique deviendrait un élément important de chaque voyage au Japon. Via elle, je me transporte instantanément dans le passé.

À Tsutaya, il était possible d’écouter tous les CD en location. Je passais des heures donc à chercher des musiques sympas. Je tombais sur des surprises comme Ulfuls, un groupe de rock bien barré qui venait de sortir Samurai Soul le jour de mon décollage vers le Japon. Je découvrais UA, une chanteuse qui a fait quelques morceaux sympas qui ne puent pas la J-POP commerciale, ou encore Ego Wrappin’, un groupe de jazz alternatif que j’aime beaucoup. Petit détail, je découvrirai après coup que ces artistes viennent d’Osaka.

Je suis revenu à Kugayama en octobre 2015. J’ai l’impression d’avoir plus changé que le quarter. Je viens en tant que père de famille à présent et je n’ai plus du tout la force de décrocher la lune. La banalité exotique du Japon est devenue depuis ma propre banalité. En tout cas, c’était émouvant de revenir ici. Certains magasins ont tout de même changé, mais le supermarché où j’allais est toujours là.

Kugayama-2006-2015

Il y a 10 ans, fraîchement arrivé au Japon dans ce quartier quelconque de Kugayama, je trouve quand même dingue que je me sois trouvé devant un magasin dont le nom n’est autre que « Angelo » (アンジェロ). Le hasard est parfois surprenant !

coiffeur-Angelo

Je suis passé devant cette boutique de Taiyaki à emporter. J’ai aperçu la même petite vieille qu’il y a 10 ans. Je m’approche et lui dit : « Bonjour, il y a 10 ans, la première fois de ma vie que j’ai mangé un Taiyaki, c’était chez vous ». Elle m’a répondu en m’en offrant un. On a discuté pendant 10 minutes au moins.

Taiyaki

Avec le recul je me rends compte que W m’a montré un Japon qui va au-delà de la carte postale. J’ai pu explorer de nombreuses facettes du Japon. Elle pouvait avoir des avis très critiques sur son pays. Elle m’a montré les choses comme elles sont. J’idéalisais un peu le Japon et l’imaginais toujours impeccable, classe et sobre, presque froid même. J’ai découvert grâce à elle l’envers du décor, le Japon bordélique, kitsch, mais attachant et chaleureux.

Je venais à peine d’arriver sur place qu’on est allé manger à l’Iseya du parc d’Inokashira. C’est un restaurant de Yakitori vraiment pas cher. 80¥ la brochette de poulet de base à l’époque. C’est là-bas que j’ai découvert à quel point poulet grillé et bière pouvaient faire bon ménage. Mais c’était aussi le restaurant le plus sale, le plus crasseux que je n’avais jamais vu de ma vie. Le bâtiment ne demandait qu’à s’écrouler, les serveurs étaient pleins de tâches et te déposaient la bière comme des rustres sur des tables de fortunes, dans un brouhaha étourdissant. La fumée s’infiltrait dans tout le restaurant. Le cuisinier responsable des brochettes avait la clope au bec en permanence. Les toilettes étaient les mêmes pour hommes et femmes. Les filles passaient devant les urinoirs. Mais j’adorais ce restaurant car il m’a mis une claque ! Je ne m’y attendais pas. Il m’a bousculé, surpris et c’est ce que j’attends d’un voyage. J’y ai fait des rencontres mémorables. Ces expériences marqueront à jamais ma vision du Japon. L’Iseya est aujourd’hui rénové. Comme vous pouvez le voir ci-dessous, il est propre, aseptisé et je préfère nettement celui enfoui dans mes nuages de nostalgie.

Iseya-2015

Durant mon séjour je prenais un calepin et écrivais plein d’annotations sur le Japon. Quelques exemples :
le Japon est un désordre organisé. Il y a quelque chose de chaotique ici, mêlé à la discipline. C’est bizarre mais très agréable.
– les camions font des bruits et parlent quand ils tournent. C’est un enregistrement qui s’active quand le chauffeur active les clignotants.
– Shibuya, gare où ça sent bon les gâteaux. Il y a un pâtissier au sein de la gare dont la bonne odeur sucrée se propage dans les couloirs. J’avais jamais imaginé qu’une gare ferroviaire puisse sentir bon.
– Les toilettes sont spéciales. Où on a le top du top, cuvettes chauffantes, jet d’eau, etc, ou on a des toilettes à la turque.
– à chaque fois qu’on entre dans un restaurant on nous sert un verre d’eau ou de thé gratuit.
– ici, pour ouvrir une porte, il faut tourner les clés dans la serrure dans le sens contraire qu’en France. Combien de fois ai-je fermé une porte déjà fermée.
– Mitsubishi a eu une super idée avec ses Jet Towers
(copiés depuis par Dyson)
– tout semble mieux pensé, plus pratique et efficace au Japon.
– avant la fermeture des magasins, on entend la chanson « ce n’est qu’un au revoir », pour inviter les clients à passer à la caisse ou s’en aller.
– beaucoup de personnes âgées travaillent encore. La première fois ça fait bizarre.
– il y a des gens payés pour tenir des panneaux publicitaires dans la rue. D’autres distribuent gratuitement des mouchoirs avec une publicité. C’est pratique, pas besoin d’en acheter même s’ils sont vraiment de mauvaise qualité.
– les distributeurs de billets ont un petit miroir qui permet voir à 180 degrés derrière soi. C’est pratique pour s’assurer que personne de suspect ne vient derrière vous. Mais est-ce nécessaire ici ?
– TOTO semble dominer le marché des toilettes. J’ai un faible pour les urinoirs CeFion tech. Ce fion ?!!
– les voitures ont des boîtes automatiques mais les bus sont en boîte manuelle. C’est tout le contraire de chez nous.
– Les Japonais habillent souvent leurs chiens. C’est un peu ridicule.

Pendant ces deux mois et demi, je ne suis pas resté simplement à Tokyo. J’en ai profité pour visiter Yokohama, une ville très sympa à seulement 30 minutes de la capitale. J’ai vu Kamakura et ses richesses historiques. Kyoto, dont la beauté des temples surclassait de loin tout ce que j’avais vu à Tokyo. J’ai visité Nara, fait un saut rapide à Osaka (honte à moi), poussé jusqu’à Hiroshima et la jolie Miyajima ainsi que Fukuoka, ses Yatai et son Meitako au petit déjeuner ou encore les pruniers de Dazaifu. J’ai tout de suite eu un bon feeling avec Fukuoka car la vie m’y semblait agréable et surtout j’avais des amis vraiment sympas qui m’ont accueilli.

On a fait Kanazawa également, ville d’origine de W. J’ai du respect pour Kanazawa et son raffinement. Et pour finir, je suis allé voir le Mont Fuji à Kawaguchiko. J’imaginais le volcan sacré entouré de belles campagnes et de nature. J’y ai découvert la campagne de base japonaise, celle qui est moche et sans charme. J’étais déçu. Kawaguchiko est agréable mais laide. Il existe de jolis coins autour du Fuji, mais je n’avais pas pu en profiter la première fois. En plus, le temps était mauvais, mais quelques minutes d’éclaircies bienheureuses m’auront tout de même permis de faire une photo potable du volcan.

Mont Fuji-2006

En revenant à Tokyo pour les dernières semaines j’avais comme l’impression de revenir un peu à la maison. J’avais déjà mes habitudes dans la capitale et m’étais familiarisé avec elle.

La météo s’adoucissait à mesure que le temps restant sur place se réduisait pour moi. Les bourgeons des cerisiers allaient s’ouvrir bientôt. Enfin je verrai ces fameux Sakura, qui symbolisent en quelque sorte le renouveau, le début d’un nouveau cycle. À l’heure de faire le bilan, j’avais l’impression de vivre moi-même une renaissance avec ce voyage. Je vis les fleurs de cerisier éclore comme un Angelo tout frais prêt à vivre une nouvelle vie où le Japon serait encore plus présent. Mais contrairement aux pétales de cerisiers, dont la vigueur n’est qu’éphémère, les souvenirs de cette expérience inoubliable, eux, ne faneront jamais.

sakura-fâné

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Découvrez les David Michaud Safari

Par Posted on 2 min lecture

L’automne est là, le froid s’installe peu à peu. On passe plus de temps au chaud, au calme, emmitouflé dans des habits bien épais. On prend plus le temps de réfléchir. On regarde autour de sa vie. Le temps des hommages est arrivé. J’aimerais vous parler aujourd’hui des Tokyo Safari de mon ami et collègue, David Michaud.

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Cela fait bientôt 4 ans que nous travaillons ensemble, et les expériences vécues dans cette aventure commune sont tellement enrichissantes et motivantes que je ne sais plus par où commencer cet article.
Il y a un mois je suis retourné à Tokyo pour le boulot. La capitale du Japon était le point de départ d’une nouvelle mission en voiture avec des voyageurs que je connaissais déjà. L’occasion était trop belle et j’ai donc fait en sorte que David nous balade dans son Tokyo pendant une journée.

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Ce n’est pas la première fois que je vois David en action, mais c’est toujours un plaisir ! Il entre dans Tokyo comme un artiste sur scène. Une chose est sûre, il est à fond ! Son énergie est contagieuse et inspirante. Mais David, pour moi, c’est avant tout un mec simple, nature, vivant et entraînant, qui connaît Tokyo comme sa poche. Cette ville, que je pensais connaître, m’apparaît toujours sous un nouveau jour avec lui.

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Parfois copié, jamais égalé, il fait passer une journée en un éclair, faisant s’enchaîner les divers quartiers comme un jongleur avec ses balles : c’est fluide, ça a l’air facile et la tentaculaire Tokyo revêt d’un seul coup un charme plus humain.

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Une des forces des safaris photo est aussi de savoir quand passer à tel ou tel endroit au bon moment. Et je pense savoir que sur ce point David maîtrise vraiment son sujet. Une procession de moine ? Pas de souci, on sera sûr d’être au bon moment au bon endroit. C’est du propre !

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Quelques fois je me dis que la question n’est pas de savoir si David va vous emmener dans des coins méconnus (ce qu’il va faire dans tous les cas :), mais plus est-ce que vous désirez le rencontrer et partager son Japon ? Ce n’est donc plus forcément un Tokyo Safari mais un David Michaud Safari ^^ C’est un regard, une approche personnelle avec le Japon pour terrain de jeu.

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Toute l’équipe qui gravite autour de lui est nourrie par l’énergie qu’il nous transmet. Merci d’avoir rendu nos vies actuelles possibles. Merci l’ami !

Retrouvez son blog, un des précurseurs sur le Japon : http://lejapon.fr

Retrouvez ses balades à Tokyohttp://www.tokyosafari.com

Et surtout n’oubliez qu’il propose du lourd sur Yokohama, une ville très agréable et pourtant encore méconnue, à 30 minutes de Tokyo : http://www.yokohamasafari.com

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Ce Japon secret exploré toutes ces années

Si aujourd’hui je suis spécialisé sur Osaka et ses secrets, il fut un temps où je me devais d’explorer le Japon pour y trouver des perles rares et méconnues. Le projet professionnel touristique Japan Trotter, que j’avais mis en place avec des collègues, m’obligeait à prospecter sur place régulièrement. Notre équipe avait des idées originales, des projets rarement vus pour les touristes au Japon. La catastrophe de Fukushima aura eu raison de notre travail lancé plusieurs années avant.

À l’époque, j’avais une vision très globale du Japon sans aucun pied-à-terre réel. Aujourd’hui, la situation a changé et je me suis spécialisé plutôt dans une ville et sa région voisine.

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Il y a des endroits qui ont été présentés dans ce blog, mais la plupart sont restés bien gardés, volontairement ou non.
Aujourd’hui je montre quelques photos, prises depuis presque 10 ans maintenant pour les plus vieilles. Les tendances ont un peu changé entre-temps. Certains coins peu fréquentés sont devenus bien plus connus, même si les grosses stars restent loin devant. Faut dire aussi qu’il y a beaucoup plus de touristes aujourd’hui qu’à l’époque un peu partout. L’équipe Japan Trotter avait flairé cette tendance avant qu’elle arrive. On était dans le bon tempo, motivés, mais une vague inattendue nous a balayé.

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Ce blog n’a jamais eu pour vocation d’officier comme guide touristique. Il a pour but plutôt de vous sensibiliser et de vous inviter à faire les choses par vous-même ou encore à les voir différemment. Je n’ai pas envie que vous finissiez tous par avoir les mêmes avis sur les divers aspects et lieux de ce pays que j’aime tant. Allez chercher par vous-même sur place, laissez-vous porter par votre feeling, ne prenez pas pour du pain bénit tout ce qu’il se dit sur le Japon.

Que risquez-vous en explorant l’archipel en profondeur ? Rien ! Partout des bus, des trains. Partout des gens serviables qui se plieront en quatre pour vous aider.

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Alors, levez les voiles, prenez le vent, changez d’air et grimpez sur les nuages flottant vers des contrées où l’on ne vous attend pas.

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Rejoindre à chaque fois une nouvelle île, c’était pour moi comme aller explorer un nouveau monde. Je me souviendrai toujours de mes premiers pas sur Hokkaido ou encore Shikoku. On reste dans le pays, mais on change de territoire. On coupe encore plus clairement avec les terres visitées précédemment. Comme un nouveau départ ; le terreau de toutes âmes voyageuses.

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Partir en bateau sur des îles reculées. Voir les enfants du village vous saluer comme si l’on se connaissait depuis longtemps. J’ai l’impression de m’en aller pour toujours d’ici et j’en suis triste, alors que ça ne fait que quelques heures que je suis arrivé dans ce port.

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Au début j’étais encore un novice du Japon. Je m’émerveillais de chaque chose. Trois Japonaises en kimono dans le tram de Kumamoto et me voilà comme l’envie de l’immortaliser, discrètement et maladroitement comme on la un peu tous fait. La photo du touriste fraîchement arrivé. Nulle, ratée, volée, mais qu’on n’arrive pas à effacer quand vient le moment de trier. Le cliché représente un état par lequel je suis passé et qui ne m’habite plus. Il témoigne de mon évolution.

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Un pont rouge légèrement en arche dans une petite ville et j’étais content. Je vivais mon rêve du Japon en toute innocence.

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Combien de fois ai-je délaissé mes Asics pour aller tremper mes pieds dans l’eau ? Le premier contact avec l’océan pacifique, la mer du Japon, la mer intérieure ou la mer de Chine orientale ont été des souvenirs mémorables.

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Une gare isolée, un loueur de vélo et me voilà parti au loin, suivant mon flair.

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Des heures et des heures en train, traversant plaines et montagnes pour atteindre des villes qui paraissent proches sur une carte. C’était sans compter les chemins sinueux de ce pays qui semble se tortiller à la surface de l’océan. Parfois des zones industrielles d’une laideur indescriptible, parfois des gares charmantes, parfois des rizières en terrasse. J’ai fouiné à la recherche des divers horizons du Japon, d’où le titre de ce blog.

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Je me souviens que sur les chemins du nord les trains manquaient parfois de chauffage. 3 heures dans le froid ça forme, surtout quand on visite Hokkaido enneigée avec une simple veste et des baskets.

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À l’extrême nord du Japon, les villes ressemblent à celles visitées parfois en Islande. Le froid conditionne la vie sur place et on a parfois l’impression de passer dans des villes fantômes. Il y a cette lumière et ces couleurs si particulières du nord. Un charme triste, mais qui ne devient attachant qu’en y donnant du sien.

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Mais rien n’aurait pu entraver mon bonheur d’être là. Tout était découvertes et optimisme. Je vivais la plus grande formation de ma jeunesse. Je construisais mon être futur et ma vision du monde, chose dont je prends conscience qu’à présent.

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Je ressens une forte nostalgie quand je pense à l’innocence que j’avais vis-à-vis du Japon. Il était mon échappatoire, mon idéal, mon jardin secret par rapport à ma vie en France.

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Combien de villages, de champs et d’agriculteurs ? Combien de couchers de soleil ? Combien de pluie ruisselant sur mon corps et de rayons de soleil brûlant ma peau ? Combien de sel porté par le vent sur les plages ? Combien de saveurs nouvelles dégustées quotidiennement ? Combien de petits vieux étonnés de ma présence sur la terre où ils ont grandi ? Combien d’araignées tissant leurs toiles sur mon chemin ? Combien de moustiques assoiffés de sang dans les forêts ? Combien d’odeur de fioul brûlé pour chauffer les auberges ? Combien de tickets de train poinçonnés par un contrôleur en casquette ? Combien de nuits sur des tatamis jaunis par le temps ? Combien de futons rangés et de poissons grillés au petit déjeuner ? Combien de chocs face à ces appareils d’un autre âge continuant de fonctionner dans ce soi-disant pays du futur ?

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J’en profite pour rendre hommage à ce pays magnifique qui m’a tant donné. Je remercie toutes ces personnes croisées pendant mes découvertes et à toutes les attentions qu’ils m’ont données. Je ne compte plus les cadeaux, les services et les sourires qui m’ont rempli de joie. Certaines de ces personnes étaient tellement vieilles que je me demande si elles sont encore vivantes aujourd’hui. En tout cas, elles continuent de vivre dans mon coeur.

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83 photos vous attendent ci-dessous. Elle sont parfois vieilles. Certaines datent de 2006 et ont été prises à une époque où je ne connaissais pas grand-chose à la photo.

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Des bougies pour les âmes – Manto Kuyo

Par Posted on 2 min lecture

Dans de nombreuses cultures, le feu évoque les âmes des défunts. Ce même feu qui a tué tant de personnes ici au Japon. Guerres et catastrophes naturelles viennent compléter de réguliers incendies domestiques qui ont lieu encore aujourd’hui. La maison de bois est un combustible de choix, surtout lorsqu’elle est collée à des semblables.
Aujourd’hui ce sont les bougies qui flambent. Ces dernières, marquées des noms des défunts, se consument tandis que les passants inhalent ces effluves de cires brûlées mélangées à la moiteur de cette soirée d’août.

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En ce moment, c’est Obon, la fête des ancêtres. Un hommage, une pensée, un retour vers le passé, un regard vers l’au-delà et ses âmes dissipées, loin de la réalité de ce monde.

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Il est toujours étonnant de voir comment l’homme imagine l’âme sous la forme d’une flamme. Il semblerait qu’on soit tous aisément captés par cet éclat qui réchauffe le coeur, comme une lueur d’espoir dans ce bas monde parfois froid et pénible. En passant près des bougies, je sens la chaleur inonder mes joues. Pendant la fête des Morts, je rougis d’abondance de vie.

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Au temple Shitennoji d’Osaka, on commémore chaque année Obon avec des bougies et les prières des moines qui circulent dans l’enceinte de ce lieu historique.

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Comme une parenthèse dans sa vie, on vient prier pour se commémorer. Le temps se fige même si au loin la vie contemporaine continue de grimper vers le ciel.

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Otoke-sama est éclairé ce soir, éclatant comme les flammes des bougies. Il est rare de le voir ainsi dans ce temple. Familles, couples, tous les âges viennent ici perpétuer la tradition, la culture de leur pays dans un respect simple et léger, déchargés de dogmes pesants et obscurs qu’imposent parfois nos religions monothéistes.

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Tout ce qui brûle ne se consume pas forcément. Tout ce qui chauffe ne s’enflamme pas forcément. Tout ce qui est invisible n’est pas transparent forcément. Tout ce qui ne s’explique pas n’est pas irrationnel forcément.

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La Tentation de Kyoto de Jean Sarzana

Par Posted on 3 min lecture

La tentation de Kyoto est un livre écrit par Jean Sarzana. Avant d’être un auteur, Jean Sarzana est pour moi « Monsieur Sarzana », un voyageur que j’ai accompagné à Kyoto en 2012. C’est donc ainsi que je vais l’appeler. Rarement j’ai eu autant de dialogues de fond sur mon pays d’adoption et sa culture qu’avec Monsieur Sarzana. Ces moments passés avec lui étaient particulièrement agréables. Il était curieux et moi j’aimais exposer ma vision des choses. Il rebondissait sur les sujets transformant la conversation en une escalade d’échanges réciproques, à en oublier presque le programme prévu de la journée. Avec des personnes qui élèvent autant la discussion, la balade passe à une vitesse folle !

En 2014, j’ai appris qu’il écrivait un livre. J’ai eu la chance et l’honneur d’aborder par mails divers points culturels avec lui. Puis il m’a fait cadeau d’un exemplaire dédicacé de son livre, une fois publié.

Ce qui est étonnant avec Monsieur Sarzana, c’est sa vision aiguisée des choses, sa sensibilité. Il a saisi d’innombrables points alors que son voyage au Japon était une nouvelle expérience pour lui. C’était en quelque sorte un novice, (bien que déjà venu une fois avant 2012) comme on l’a tous été lors de notre premier séjour dans ce pays. Et son livre garde humblement toujours cet angle confidentiel, comme un murmure laissant la place à un doute jamais esquivé tout au long des pages.

Pourtant, Monsieur Sarzana voit incroyablement juste ! Dans cet essai, il arrive à esquisser des contours particulièrement précis sur le Japon. Mené d’une main de maître, je lui envie la précision de son écriture, la justesse de ses mots, les formulations tantôt bienvenues, tantôt poétiques.

Sa justesse n’est pas uniquement possible par une analyse adroite, mais aussi par une exemplaire compréhension du monde, de l’être humain et des différences culturelles qui façonnent les peuples de la terre. Divergences de pensées, de valeurs entre les populations, il arrive toujours à se placer avec recul pour tenter de s’extirper autant que possible de son enveloppe d’Occidental latin.

Le Japon est un formidable terrain de jeu pour arriver à mettre en relief sa propre culture et sa propre éducation. Nous sommes tous des êtres influencés par nos parents et le cadre de notre vie passée et présente. Le monde est d’une extrême complexité. Difficile de porter un jugement de valeur objectif sur ce que font nos semblables ayant grandi dans un cadre à l’opposé du nôtre. Le Japon m’a permis, personnellement, d’élargir mon champ de vision, de m’apporter un peu de nuance. Mais Monsieur Sarzana est arrivé sur ces terres déjà fort de cette qualité. Et ça se sent.

Derrière un titre pas forcément révélateur du contenu de l’oeuvre se cache un ouvrage fin sur le Japon. Un livre inondé de réflexions qui rendent hommage à ce qui est important dans la vie. Un texte qui nous invite à tous d’essayer de voir au-delà et de trouver, en toutes choses, le bon équilibre entre le coeur et la raison. Je vous invite à lire « La tentation de Kyoto ».

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