Une culture hors contrôle

Par Posted on 7 min lecture

Quand on lève les yeux dans les quartiers animés du Japon, il semble qu’il n’y ait de place que pour une publicité dictée par les grandes chaînes mondiales et nationales. Entre murs de verres bien propres et mannequins représentant un idéal servit sur un plateau, l’espace qu’il reste dans la rue pour ceux qui sortent du moule semble bien maigre ici.

H&M-Uniqlo-Osaka

Même dans leur comportement, ces « Japonais rebelles » essaient de ne pas trop empiéter sur ces espaces consensuels. Pourtant la touche underground pourrait avoir un sens particulièrement fort au pays des bons sentiments et des phénomènes de masses. Plus on sort des zones huppées et plus on aperçoit une sorte de laisser aller. Je constate que parfois une même personne va respecter les règles de bienséance lorsqu’elle est autour d’une gare ou d’un centre commercial propre et moderne, mais n’hésitera peut-être pas à jeter quelques déchets par terre sous un pont ou dans un coin peu recommandable, à l’abri des regards, sauf peut-être celui du Sky Building au loin.

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Au Japon, on voit des tags et graffitis, souvent peu travaillés, par ici entre les murs, par là derrière les distributeurs de boissons, comme un symbole de gens ayant envie de gribouiller une page parfois trop blanche, superficiellement parfaite.

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Dire qu’il n’y a pas de tags au Japon est signe d’une méconnaissance du pays. Considéré souvent comme du vandalisme, on aime à penser que ces actes sont inexistants au pays où, de loin, tout semble si propre et parfait. S’il est clairement moins sujet au vandalisme que tous les autres pays que j’ai pu visiter, le Japon reste un pays fait d’être humains.

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Mais est-ce que tous ces tags sont du vandalisme ? Je ne connais pas cet univers et j’en suis encore au point où je confonds Graffiti, Tag et Street art. Pour y voir plus clair, une recherche s’impose.

Il semblerait que le Street Art regroupe toutes les formes d’arts réalisées dans la rue. Ça englobe donc de nombreuses techniques différentes. Le Graffiti serait une forme de Street Art dont les outils principaux sont les sprays et marqueurs. Le Tag lui, serait surtout une signature stylisée appliquée dans la rue. Certains semblent vouloir marquer un territoire ainsi. N’hésitez pas à compléter ou corriger les explications en commentaire de cet article.

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Je me demande à quel moment ces marques, dessins, deviennent de l’art ? Jusqu’à quand, reste-t-elles de simples signatures ou revendications ? Quand franchit-on la limite qui amène les tags vers les graffiti ? Avouons que ce n’est pas un monde évident pour tout le monde.

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En général, le Japon n’aime pas trop tout ce qui est « Street ». Street Art, Street Food, Street Sport etc. Comme on a pu le voir avec Clet Abraham récemment. La rue c’est avant tout un espace de transport, un lieu fonctionnel. Sur Osaka, par endroits, la culture underground est souvent moins freinée qu’ailleurs. Moins de tags effacés, plus d’envie de s’exprimer, moins d’attitudes conventionnelle, plus de rebelles et d’excentriques, forment probablement un endroit idéal pour ceux qui souhaitent découvrir à quoi peu ressembler la culture underground urbaine ou graphique nippone.

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Clet Abraham a beau être considéré comme un artiste, ce qu’il fait est surtout vu comme une pratique illégale. Le monde lui a apporté assez de tolérance et respect pour continuer ses activités mais au Japon ça ne passe pas (auprès des autorités). Il est finalement assez rare de voir les panneaux de signalisations transformés par quelque personne que ce soit. Sur la photo ci-dessous on voit bien que si le panneau du bas est dorénavant illisible, le flèche sur fond bleu reste intacte. Ce panneau recouvert de stickers n’est pas un panneau de signalisation pour les voitures, mais d’information (assez inutiles d’ailleurs) pour les piétons.

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J’ai passé du temps à observer ce monde du Street Art. J’ai observé beaucoup de Tags que je considère comme un griboulli pas très joli, et d’autres oeuvres qui attirent franchement mon regard et force le respect. Parfois on a aussi affaire a de véritables peintures urbaines.

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Je ne décode pas toujours ce que je vois. J’ai vu des intégrations discrètes, mais aussi des détails osés et provocateurs.

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Osaka regorge de petites choses plus où moins intégrées volontairement et qui la pigmente comme un grain de beauté, entre tâche et sensualité. J’aime voir la charmante erreur intrusive qui apporte la différence au pays de l’uniformité.

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Certains envoient des messages engagés, comme ci-dessous. Un rat qui porte un masque à gaz avec un baril de pétrole pour le Tohoku, région touchée par la double catastrophe du tsunami et de la centrale de Fukushima.

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Pourtant, si parfois on tombe sur de belles surprises assumées comme une girafe géante qui vous observe dans un coin de béton …

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… la plupart du temps il n’y a aucun intérêt à ces jets de peinture. Peu de choses intéressantes à se mettre sous la dent au Japon. Il faudrait encore approfondir et aller à la rencontre des acteurs locaux de cet univers.

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Une vieille maison délabrée, des tags sur cette surface abandonnée, et pour certains ça semble être la définition d’une décharge. La police est obligée de mettre un panneau rappelant que ce n’est pas ici qu’on jette ses déchets encombrants.

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Ceux qui mettent leurs déchets encombrants là, doivent se dire qu’ils ont meilleure conscience que de les balancer dans la rivière ou la forêt comme c’est parfois le cas. Au moins, ici, quelqu’un s’en occupera. L’important c’est de ne pas être vu, afin de pouvoir continuer à faire le beau devant tout le monde demain dans les quartiers chics brossés au peigne fin. Peu importe si autre part, les murs tirent la langue face à l’hypocrisie de certains.

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Armé de mon appareil photo, j’engage une partie de cache-cache avec les tags. Quelques pas dans des coins « peu recommandables » suffisent pour en voir en pagaille. Les arrières ruelles ou encore les zones proches des poubelles.

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Continuant mon avancée dans ces sombres ruelles, je tombe rapidement sur les quartiers chauds.

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Mais dans ces coins où la prostitution n’est jamais loin, ce sont les Love Hotel qui apportent couleur et graphisme à la ville.

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À bien y penser, le Japon semble accepter tous les délires urbains possibles, tant que c’est en rapport avec une activité commerciale. Je continue mon chemin et me retrouve sous les ponts ; ceux qui semblent vous aspirer dans le noir.

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Je remarque que les parkings de seconde zone sont souvent des lieux de choix.

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En levant les yeux dans des coins en apparence plutôt « clean », je suis quelques fois surpris.

Sur le toit

Et là, je tombe sur un mur comme on en voit peu au Japon. Comme une impression d’être dans une ville américaine d’un coup. Ici, on voit plusieurs couches de graffitis, comme s’il n’y a avait pas de respect envers la composition précédente.

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Parfois les devantures d’immeubles ont beau être propre, un tour par l’arrière permet de voir  une autre réalité. Les voyages m’ont appris à me méfier de tout ce qui semble trop reluisant, des bâtiments aux coeurs de gens.

face arrière

Mais il y a un quartier à Osaka qui semble vouloir assumer un peu plus l’art de rue. Par extension, il est devenu beaucoup plus indulgent face à ce qu’on considère comme du vandalisme dans le reste du pays. Faut dire que même les lampadaires sont des oeuvres urbaines comme on en voit nul part ailleurs au Japon. Son nom : Amerikamura

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Ici, les distributeurs de boissons sont recouverts d’autocollants.

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Peu de murs sont immunisés contre ces touches grouillantes.

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D’autres murs ont été mis à dispositions d’artistes urbains leur permettant d’opérer de manière tout-à-fait légale. Ils peuvent donc prendre leur temps.

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Certaines oeuvres semblent dénoncer que certains ont le droit de sourire tandis que d’autres ont le droit de se taire.

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Ce que j’aime c’est qu’on aperçoit plus de qualité graphique ici.

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Même les parkings, normalement gris et ternes, deviennent intéressants ici.

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Ici, les vélos ne ressemblent pas aux autres. Mais s’ils passent presque inaperçus à Amemura, ils dénotent totalement dans d’autres zones d’Osaka.

kominka+vélo

Il y a des douleurs dans la vie et des blessures sociales dans le monde entier. Le coeur des hommes peut parfois vite se laisser inonder de colère. Certains cherchent un espace où se faufiler afin de ne pas trop serrer les dents. Nos gestes sont parfois de simples actions thérapeutiques face à une vie moderne qui ressemble de temps en temps à une promenade sur du sable mouvant. Revenir à la surface est pour certains synonymes d’affirmation de soi. « Think for yourself » comme diraient certains. Alors au Japon comme partout, pour éviter les effluves de sang, les murs, parfois, saignent de l’encre.

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