Hiroshima est plus grande que Tokyo intra-muros

DANS CET ARTICLE, QUI RESSEMBLE PLUS À UN DOSSIER,
NOUS ALLONS DÉCOUVRIR DE PLUS PRÈS LE DÉCOUPAGE ADMINISTRATIF DES VILLES JAPONAISES,
QUI RÉSERVE PARFOIS QUELQUES BELLES SURPRISES.

Un jour, je roulais en voiture dans les régions au nord de Kyoto. J’étais en mission de prospection pour Vivre le Japon avec laquelle je travaillais régulièrement à cette époque. Je devais bien être à 25 kilomètres de la ville de Kyoto, au coeur de la forêt quand soudain je tombe sur un panneau m’indiquant que je venais de rentrer dans la ville de Kyoto. La ville ?! Une ville d’arbres et de cerfs ? Le découpage municipal doit vraiment être approximatif car on était loin de Kyoto en réalité et il n’y avait pas de ville ou même de village à l’horizon.

En voiture

Il y a quelques semaines, je discutais avec Yann sur Skype. On refaisait le monde, comme souvent. Faut dire qu’élever les débats ou philosopher, (même au raz des pâquerettes) c’est pas toujours le sport national au Japon ^^ Alors, faut en profiter entre Français. On en arrive à parler de la taille des villes quand soudain, il me dit : « En fait, Hiroshima c’est plus grand qu’Osaka ».
Moi : « Quoi ?!! C’est quoi ce délire ?! C’est pas possible ! ».

Je vérifie les informations. 905,41 km² pour Hiroshima contre 223 km² pour Osaka. C’est donc vrai ! Officiellement, la municipalité d’Hiroshima est plus grande que celle d’Osaka. Pourtant, il est clair pour tout le monde qu’Hiroshima est une ville bien plus petite qu’Osaka. Pas de doute là-dessus, d’autant plus qu’avec 905,41 km², ça voudrait dire que techniquement Hiroshima est plus grande que Paris (105,40 km²), Miami (143,15 km²), Le Caire (210 km²) ou encore Séoul (605,52 km²). Comment est-ce possible pour une ville de taille moyenne comme Hiroshima ?

Tout d’abord, pour mieux comprendre, présentons un peu les découpages administratifs qui nous intéressent ici. En gros, on a :

  • Les Ken 県 (parfois Fu 府, Do 道 ou To 都) : ce sont les préfectures (techniquement plutôt des départements)
  • Les Shi 市 : ce sont les villes ou municipalités
  • Les Ku 区 : les arrondissements des villes moyennes et grandes

Quand on regarde sur une carte le Shi 市 de Hiroshima 広島市, donc la municipalité de Hiroshima, on obtient ça :

Cliquez pour agrandir (via Google Map)
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En jaune on voit les limites de la « ville ». Cette dernière est surtout composée de forêts et de montagnes. On observe un gros décalage entre la ville réelle et son découpage administratif. Son agglomération est beaucoup plus grande que sa taille urbaine. En rouge, on voit le Hiroshima intra-muros. Le décalage est frappant !

Kyoto, avec ses 2000 temples et sanctuaires, ses 1,4 millions d’habitants se retrouve dans le même schéma qu’Hiroshima.

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Kyoto est en réalité beaucoup plus petite que sa taille administrative. Comme Hiroshima, c’est surtout montagnes et forêts.  Avec 827,90 km²,  Kyoto est plus grande que Milan (182 km²), Munich (310,43 km²), ou encore Chicago (606 km²). Elle est 8 fois plus grande que Paris ! Or c’est aussi une ville considérée comme moyenne à l’échelle japonaise.

Sachant à quel point le nombre de petits temples et sanctuaires augmente dans les montagnes et forêts, je me pose la question suivante : pour arriver au décompte de 2000 temples et sanctuaires à Kyoto, s’est-on basé uniquement sur ceux à l’intérieur de la cité historique, ou a-t-on englobé aussi ceux éparpillés dans les montagnes loin de la zone urbaine ?

Montagne Kyoto

Mais pourquoi le découpage se fait de manière si approximative ? Je pense qu’en fait c’est par simplicité et économie. Plutôt que de créer de nouveaux chef-lieux au milieu des montagnes ou dans de petits villages, le gouvernement englobe administrativement tout ça dans la grande ville du coin auquel ces territoires dépendent. Mais, je ne suis pas un spécialiste du sujet. Il y a peut-être d’autres explications.

Pour Osaka, c’est le contraire. La ville administrative, le Shi 市 d’Osaka 大阪市, est bien plus petit que ce que représente la réalité urbaine liée à la ville. Cette dernière est entourée de communes parfaitement incorporée au tissu urbain d’Osaka et dépendantes plus ou moins fortement de celui-ci, formant ainsi une agglomération d’environ 8 millions d’habitants dépassant haut la main les 1000km². Ci-dessous, en jaune, les limites du Shi 市 d’Osaka, en rouge, ce que l’on pourrait nommer le Grand Osaka, la mégapole.

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Il y a donc souvent un décalage entre les impressions sur place et la réalité administrative lorsque ces zones urbaines s’étendent sous nos yeux. D’autant plus qu’au Japon, comprendre où se termine une ville et où commence la suivante est un jeu d’une extrême difficulté. Il y a plusieurs villes dans la photo ci-dessous.

Sud d'Osaka-panoramique

Ça devient d’autant plus compliqué que les préfectures ont souvent le même nom que leur ville-capitale. Par exemple, les préfectures de Fukuoka, Nagasaki, Hiroshima, Osaka, Kyoto, Nara, Shizuoka, Tokyo et Nagano, pour ne citer quelles, sont des villes avant d’être des préfectures. Ce qui augmente les amalgames. Par exemple, lorsque l’on dit Tokyo, de quoi parle-t-on ? Du Tokyo intra-muros ? De la préfecture de Tokyo ? Du Grand Tokyo ?

Le cas de la capitale est un peu particulier. Ce n’est plus une ville Shi 市 depuis 1943. Il y a des arrondissements Ku 区 mais la ville à proprement parler n’existe pas. Ce qui n’aide pas à comprendre ce qu’est réellement Tokyo, qui est aujourd’hui surtout le nom d’une préfecture (Tokyo-to 東京都) et non d’une ville. Ces arrondissements, au nombre de 23, forment l’ancien Shi 市 de Tokyo. En d’autres termes, le vrai Tokyo intra-muros, en jaune sur la carte.

Cliquez pour agrandir (via Google Map)
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Le Tokyo intra-muros représente 622,99 km² (plus petit que l’actuel Shi 市 d’Hiroshima) pour environ 9 millions d’habitants. On est loin des 36 millions dont on entend si souvent parler au sujet de la capitale du Japon, comme avec des cartes en exemple ci-dessous, relayées en masse sur le net et sans explications précises, nourrissant ainsi l’amalgame entre Tokyo et Le Grand Tokyo.

http://undertheraedar.blogspot.jp

Ces 36 millions d’habitants c’est quoi au juste ? Et bien c’est simple, c’est la mégalopole du Kanto, nommée parfois Le Grand Tokyo mais dont le vrai nom est plutôt Kantō Major Metropolitan Area 関東大都市圏, et  qui englobe la préfecture de Tokyo (2 188, 68km² pour environ 13 millions d’habitants ; y compris les îles d’Ogasawara à 1000 km de Tokyo dans le pacifique) et les villes voisines, comme Saitama, Chiba ou encore Yokohama (3,7 millions d’habitants). Tout cela forme le tissu urbain le plus peuplé du monde sur environ 13 500 km². Impressionnant ! Néanmoins attention, ce n’est pas Tokyo au sens propre, mais une zone urbaine composé de plusieurs préfectures et villes différentes qui se sont étendues jusqu’à être littéralement collées les unes aux autres pour former une mégalopole.

Il existe plusieurs mégalopoles dans le monde, notamment le Grand New York comprenant entre autres les villes de Boston, New-York, Philadelphie, Baltimore et Washington. On parle ici de 34, 490km² (plus du double du Grand Tokyo) pour environ 23 millions d’habitants.

Sur le Kansai, il y a celle du Keihanshin, comprenant globalement Kyoto, Osaka et Kobe avec presque 19 millions d’habitants pour 11 170km².

Il faut savoir que le Japon reste particulier. C’est un pays composé surtout de montagnes et de forêts. Il n’y a que 18% environ de territoire plat, réparti principalement sur les côtes, où se trouvent la plupart des grandes villes. En extrapolant un peu, on peut dire qu’il y a tissu urbain pratiquement de Tokyo à Fukuoka en discontinu le long de la mer. On parle là d’une bande d’environ 1000 km !

Toutes ces informations permettent d’avoir envie de mieux comprendre de quoi on parle lorsque l’on emploie les mots « Tokyo », « Osaka », « Kyoto » ou « Hiroshima ». La définition d’une ville telle qu’on la conçoit en France ne semble pas forcément retrouver sens ici, au Japon, où le découpage se fait parfois de manière purement administrative sans prendre en compte la réalité urbaine du terrain. Quand aux mégalopoles, il est toujours important de préciser de quoi on parle quand on aborde le sujet.

Sources :
http://ja.wikipedia.org/wiki/広島市
http://ja.wikipedia.org/wiki/京都市
http://ja.wikipedia.org/wiki/大阪市
http://fr.wikipedia.org/wiki/Arrondissement_spécial_de_Tokyo
http://fr.wikipedia.org/wiki/Ville_de_Tokyo
http://fr.wikipedia.org/wiki/Grand_Tokyo
http://en.wikipedia.org/wiki/Greater_Tokyo_Area
http://en.wikipedia.org/wiki/New_York_metropolitan_area
http://fr.wikipedia.org/wiki/Keihanshin

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Doyadoya Matsuri à Osaka

14 jours après le nouvel an, a lieu chaque année un Matsuri (fêtes traditionnelles) au temple Shitennoji d’Osaka. Comme souvent, les Matsuri  de cette ville sont entrainants, vifs, amusants comme ses habitants. Plus qu’une fête, ce Matsuri est un rituel. On est très loin des ambiances estivales. C’est plus confidentiel.

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Doyadoya Matsuri est un rituel pour lancer sur de bons rails l’année qui vient de commencer. Il tire ses origines dans un passé où de bonnes récoltes sans encombre étaient la première inquiétude du peuple. Manger à sa faim et avoir quelque chose à revendre ou échanger était essentiel.
Les Japonais ne l’époque ne vivaient pas dans l’opulence de futilités de ceux d’aujourd’hui. Néanmoins, il persiste encore ces rituels qui n’ont parfois plus beaucoup de sens à l’heure actuelle. C’est la force culturelle du Japon : savoir garder près de soi des pratiques transmises de génération en génération sans les bousculer. Ces Matsuri traversent les âges comme les générations se succèdent sur l’arbre de la vie.

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Tout d’abord, des enfants se dirigent devant le pavillon Rokujido presque nus en affrontant le froid. Voir de tels petits bouts procéder à ce rituel avec assiduité est admirable. Mais, certains semblent surtout bien s’amuser.

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Puis, place aux plus grands, des jeunes hommes en Fundoshi arrivent par l’est et l’ouest. Le but pour eux est de récupérer des amulettes. Seulement, être nu en plein mois de janvier ne semble pas suffire pour obtenir la clameur des dieux. Il semblerait qu’il y ait plus de chance en leur jetant de l’eau froide sur le corps.

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Le spectacle est impressionnant ! Mais le rythme des voix, le son des sifflets et les sourires de la plupart permettent de ne pas vivre l’instant comme une souffrance gratuite. Le moment est léger, dur, mais léger.

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Le professeurs sont chargés d’arroser ces ados et ils le font à coeur joie. C’est un rapport très particulier qui doit se créer entre eux et les élèves après ça.

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Place ensuite à la prière, les mains jointes, le corps humide, sensible au moindre déplacement d’air.

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Et quand on croit que ça se calme enfin, c’est reparti pour un tour.

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Place ensuite à une pause assise. Une pause qui n’a de pause que le nom.

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Dans le froid hivernal, on pourrait croire qu’il neige sur eux.

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Moi je vois surtout Doyadoya comme un rituel de passage. Une sorte d’endurcissement avant de devenir adulte. Il y a  un côté militaire dans tout ça mais mon coeur balance. Quand je vois de quelle manière ça se déroule, je trouve ça bien. Bien sûr, je plains l’instant que vivent ces adolescents, mais je me dis parallèlement qu’il doit y avoir du positif et que ça ferait pas de mal d’avoir quelques rituels comme ça chez nous. Seulement la France remet tout en question. C’est sa force et sa faiblesse. Le Japon, au contraire, ne le fait jamais. C’est sa force et sa faiblesse.

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